Quelques bonnes raisons pour lire « De toute son âme »

 

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Ce roman est paru en 1897 chez Calmann-Levy, juste deux années avant « La terre qui meurt ». La scène se déroule sur les bords de la Loire, entre Nantes et Mauves. La lumière de la Loire, présente et vivante à travers ce roman, contraste étonnamment avec les pages sombres de la littérature naturaliste de l’époque : industrialisation, exode rural, défaite de 1870 etc….

L’auteur décrit les personnages et les paysages, avec un style naturel et enjoué ; alliant clarté et simplicité, avec force aussi, dans certains passages ou moments dramatiques. Soulignons la qualité de peintre,  « amateur de couleurs » qu’on lui connait. Il a le don d’analyser et décrire les visages des gens simples qu’il affectionne particulièrement, soulignant tour à tour, leur peine ou leur joie, et par-dessus tout, leur dimension spirituelle.

 Roman – mi-ouvrier mi-paysan –, écrit avec l’expérience de l’écrivain qui a dépassé la quarantaine, ce livre met bien en lumière les valeurs pérennes de l’enracinement, de l’attachement au terroir, et de la vie familiale, avec ses joies, ses peines, les secrets de famille, mais aussi le sens de l’honneur qui anime tous les milieux sociaux. On y retrouve les caractères respectifs et complémentaires de l’homme et de la femme, dans la vie quotidienne au travail, en usine, mais aussi dans un atelier de mode, et dans la vie de pécheur sur les bords de Loire.

Ce roman psychologique et social décrit l’histoire d’un drame humain intense : celui de deux orphelins, Henriette, l’héroïne du livre, et son frère Antoine ; deux jeunes adultes qui ont été recueillis par leur oncle Eloi Madiot, ouvrier à Nantes depuis plus de trente ans.  Il travaille dans la même entreprise de conserves, dont le patron, M. Lemarié, est particulièrement cynique. Henriette ne sait pas qu’elle est fille naturelle du patron, secret de famille remontant à plus de vingt ans en arrière. Sans vous raconter ici tout le roman, je vous laisse découvrir le parcours exceptionnel de l’héroïne, son travail dans l’atelier de modiste au cœur de Nantes, son sens des relations humaines, familiales et sociales. Vous y trouverez un portrait de femme, alliant avec talent profondeur et gaieté…

Enfin, comme dans ses romans précédents, René Bazin excelle à mettre en valeur la noblesse de cœur de ses personnages, pourtant humbles et modestes.  On trouve ici décrites les vertus pérennes de la vie sociale, à la fin du XIXème siècle, nourries de racines chrétiennes, sens de l’honneur, courage, amour de la patrie, fraternité d’armes et service de l’autre…bref, un roman plein de lumière à redécouvrir.

 

QUELQUES BONNES RAISONS POUR LIRE CE LIVRE

Salon littéraire du 4 juillet 2014 à La Péquinière, La Boissière du Doré (44)

1 – La réédition de novembre 2013, Editions AMA

La dernière réédition de ce livre datait de 2005, chez Siloë ; et le stock était épuisé… Devant l’afflux des commandes de ce livre à la boutique de son monastère, signet vertla Mère Supérieure de la Font de pertus (84) et sa communauté décident sa réédition. Grâce au concours de Jacques Boislève, ancien journaliste d’Ouest France, auteur de nombreux ouvrages sur la Loire, et avec l’accompagnement de notre association des Amis de René Bazin, ce livre est réédité en novembre 2013. Dans cette réédition, vous retrouverez la présentation, avec analyse et commentaires sur 70 pages, rédigés par J. Boislève.

2 – La ville de Nantes et ses environs à la fin du XIXème siècle

Au fil des pages, la ville de Nantes est décrite, avec ses différents quartiers : la rue Crébillon au centre avec l’atelier de modiste où travaille l’héroïne du roman, mais aussi le quai de la Fosse avec ses misères, l’Eglise Ste Croix, la place de Bretagne, St Similien, la cour Cambronne…etc Voici une occasion de revisiter Nantes avec ses quartiers chics, mais aussi l’ancien grand port négrier ; la ville rouge de Carrier et ses quartiers d’usine qui se multiplient etc…

3 –  Description d’un atelier de mode, rue Crébillon

signet noirLe roman fourmille de descriptions de l’atelier de mode, du travail de modiste et de confection de chapeaux…Vous pourrez voir sur la table de livres, les marque pages représentant quelques modèles actualisés de ce travail de modiste…Travail de la femme, ambiance bien spécifique de ces ouvrières, avec leurs joies et leurs peines, avec les jalousies et querelles diverses. Le travail est rude… Henriette va devenir « première », c’est-à-dire responsable de la direction au quotidien des douze ouvrières…Elle sera première dans la première maison de mode de Nantes…avec l’augmentation de salaire correspondante… 

4 – Contexte de l’émigration bretonne

Les personnages de ce roman proviennent de la « Bretagne perdue », c’est-à-dire d’une province rurale qui se vidait alors de ses habitants avec l’essor industriel… . Sans être au centre de l’intrigue, cette question de l’émigration est récurrente dans ce livre : problème du déracinement, de la perte de repères, de la course au profit, du libéralisme sans frein et du chacun pour soi…Ces expressions ont une teinte d’actualité certaine, plus d’un siècle plus tard…Antoine Madiot, le frère d’Henriette est dsignet turquoiseécrit de façon caricaturale, comme d’autres bretons peints par René Bazin dans Donatienne, la Closerie de Champdolent ou Magnificat.

5 – La condition ouvrière

…avec l’ambiance lutte des classes. L’auteur s’intéresse vivement à cette question, décrivant avec précision et sans complaisance le climat tendu entre patron et ouvrier…Contrairement à ce qu’on pourrait croire, de la part d’un auteur, parfois trop vite classé parmi les passéistes, Bazin ne prend pas parti, notamment pour le patron de l’usine : « Quelle affreuse guerre qui nous range ainsi entre deux camps, sans que nous le voulions…Que de fautes il a fallu de la part de ceux qui possèdent, pour en arriver là ! ».          De façon inattendue, l’auteur prête à l’épouse du patron cynique, des propos insolites : « Cette fortune m’est odieuse. Je ne l’accepte que pour qu’elle soit bien dépensée.. »

6 – La doctrine sociale de l’Eglise

Danchapeau roses la suite de l’encyclique « Rerum novarum » de 1891, promulguée par le Pape Léon XIII, le pape du « ralliement » si controversé par certains, l’auteur porte, dans ce livre, un regard chrétien tout simplement, pour réduire le fossé qui s’est dramatiquement creusé entre l’Eglise et le monde ouvrier. Bazin s’inscrit résolument dans le courant du catholicisme social, celui de La Tour du Pin, celui de Léon Harmel et d’Albert de Mun. Contrairement aux thèses marxistes visant à promouvoir le collectivisme, Bazin fait la promotion du droit de propriété, cadre indispensable pour épanouir la liberté, l’esprit d’initiative et l’exercice des responsabilités. Mais, dans ce roman, c’est surtout l’aspect « charité » qui prédomine, du fait de la personnalité d’Henriette Madiot. En voici deux exemples : celui de l’embauche d’une jeune femme et celui de l’attention portée aux souffrants.

7 – Des portraits de femmes

Encore une autre raison de lire « De toute son âme »…Il y a chez l’auteur la même finesse à décrire : le travail de modiste sur les chapeaux et les ressorts de l’âme féminine. Tout au long de cette analyse, on a perçu la vive intelligence et la finesse de cœur d’Henriette Madiot. Pour conclure, il faut relire et écouter cette courte page – 119 – qui est un vrai chant de joie, un hymne à la vie et à l’amour…

 

Les Amis de René Bazin,
Jacques Richou, le 4 juillet 2014