Bulletin de liaison n°3 – Janvier 2015

TitreEDITORIAL

Cher(e) Ami(e) de René Bazin,

L’année 2014 a connu un bon développement de notre association, créée en 2007, avec plusieurs rencontres, effectuées grâce à votre concours. J’en retiens ici deux majeures : notre assemblée générale du 17 mai, avec des communications de grand intérêt et
l’apposition de la plaque par la Mairie de Paris, le 4 novembre dernier, sur l’immeuble de René Bazin, rue St Philippe du Roule, dans le 8eme.

Dans le domaine de la communication numérique, incontournable aujourd’hui, l’animation de notre site internet s’est poursuivie, grâce au dynamisme de
Philippe René-Bazin et d’Alienor Huten, que je remercie tous les deux, ici, en votre nom à tous. A noter enfin la dernière mise en ligne sur E Books, en fin d’année 2013,
du roman célèbre « De toute son âme », dans l’attente de la toute prochaine mise en ligne du livre de voyages « Les Italiens d’aujourd’hui ».

Sur le plan des rééditions de livres, il convient de rappeler ici les initiatives de la maison d’éditions CPE Marivole, qui après les quatre livres réédités en 2013, a publié en 2014 « La cuisine au temps de René Bazin » avec une présentation bien documentée, réalisée par François Comte que je remercie ici ; à signaler aussi la récente publication de « Gingolph l’abandonné » aux éditions Clovis, avec une préface d’Alain Lanavère ; merci aussi à lui.

Nous développons les relations avec nos amis et partenaires : émissions radio, conférences et participation à plusieurs rencontres ou salons littéraires,
en Alsace dès février, en Picardie en juin, à Nantes en juillet, et à Paris en octobre, avec la société historique des 8eme et 17eme arrts, dans le cadre du Centenaire de
1914 ; et en décembre avec le Salon des écrivains catholiques de langue française, à la mairie du 6eme.

Les projets pour 2015 et 2016 ne manquent pas : plusieurs conférences déjà en préparation, participation à des rééditions variées, « Fils de l’Eglise» avec une préface du Père Dominique Catta, « les nouveaux Oberlé » et « Pages religieuses ». Enfin, nous
travaillons, depuis plusieurs semaines sur la préparation d’un « colloque René Bazin » rencontre sur deux jours, le vendredi études universitaires et le samedi journée
grand public avec expositions et diverses visites. Ce colloque aura lieu en mars ou début avril 2016, aux archives du Maine et Loire à Angers, avec le concours des deux universités, l’université d’Etat et l’UCO (la catho).

Au nom de tous les membres du Conseil d’administration, que je remercie pour leur travail et la conduite de notre association, je vous présente mes meilleurs vœux pour la nouvelle année.

Jacques Richou, président des Amis de René Bazin

 


REEDITIONS – EDITIONS

Les éditions Sainte Philomène ont réédité « La Douce France » en 2 volumes :
– La Douce France Tome 1er
– La Douce France Tome II : La France au Combat, augmentée de : Le Siège du Pé-T’an
Les éditions CPE Marivole sous la direction de François COMTE ont édité un
recueil de recettes : La cuisine au temps de René Bazin
Les éditions CLOVIS ont réédité « Gingolph l’abandonné »


LA GUERRE DE 1941-1918 DANS L’OEUVRE DE RENE BAZIN

L’œuvre d’un écrivain comme René Bazin ne pouvait qu’être profondément marquée par la Grande Guerre. Né en 1853, la défaite de 1870 l’avait profondément touché, comme tous les hommes de sa génération, et il ne manqua pas de mettre sa plume au service de la France menacée. Ce qui fait son originalité par rapport à d’autres hommes de lettres, c’est qu’il réagit en moraliste au moins autant qu’en patriote, et en moraliste chrétien.
Nous allons donner quelques exemples de cette attitude en le suivant à travers trois livres, « La douce France », « Récits du Temps de la Guerre », « Etapes de ma vie »(1) .(*)

Dans « La douce France René Bazin » s’adressait aux enfants à l’époque (1911) où des campagnes de dénigrement tendaient à remplacer l’amour de la patrie par un dangereux humanitarisme. Il cherchait à leur faire aimer leur pays en leur montrant, par-delà ses paysages, son âme. Il montrait que la France est un pays de résurrection et qu’il s’y livrait, depuis la Révolution, une neuvième croisade pour y restaurer la société chrétienne. Il y ajouta quelques chapitres après la guerre. L’un d’eux est intitulé : Les merveilleuses paroles des Français. René Bazin rapporte, parmi d’autres, le mot d’un jeune fendeur d’ardoise angevin : « Je voudrais bien mourir pour la France, afin qu’elle devienne plus chrétienne ! ». L’auteur ajoute : « Cette idée du sacrifice, du rachat par la souffrance, a été celle de milliers de victimes de la guerre…De tous côtés, c’était le don de soi-même. Je citerai quelques-unes de ces lettres testamentaires. La beauté d’âme qui s’y rencontre est l’un des traits de la Grande Guerre ». Bazin offre alors aux enfants de France une véritable anthologie d’anecdotes touchantes ou de mots sublimes écrits par des combattants de toutes origines, régionales et sociales. Nous en citerons une autre : « Un soldat ayant été tué, ses camarades trouvèrent, dans sa musette, une enveloppe contenant une petite somme d’argent, et un billet ainsi conçu : Cet argent est destiné à faire dire une messe pour celui qui m’aura tué. Vit-on jamais, parmi les hommes, un plus beau pardon ? Il ressemble à celui du Christ. »

Les « Récits du Temps de la Guerre » rassemblent vingt-huit anecdotes, « choses vues » ou véritables contes et nouvelles ayant pour sujet, de manière directe ou indirecte, le conflit mondial. Ces récits sont sobres, pleins de tact, sans aucun trait de ce patriotisme outrancier qui nuit au véritable amour de la patrie. Nous citerons Le pointeur, un petit conte qui rappelle les récits d’Alphonse Daudet sur la guerre de 70. L’artilleur Archambaut suggère à son capitaine de faire tirer sur la maison d’un village où doit se tenir l’état-major allemand : «  C’est la plus grande du bourg ; il y a un étage, il y a quatre belles salles, il y a une cave avec du vin dedans : sûr ils sont là ! Tapez dessus !
Tu la connais donc bien ? Archambaut répondit tout bas : C’est la mienne ! »

« Les Etapes de ma vie » (extraits de ses notes intimes), ouvrage posthume, présentent des souvenirs de toutes sortes. Le 12 septembre 1914, René Bazin s’étonne douloureusement qu’il n’y ait pas un seul membre du gouvernement français pour parler de Dieu comme nos alliés, « avec l’Angleterre qui donne la liberté aux catholiques et dont le roi a voulu assister, avec toute la famille royale, à un office dans la nouvelle cathédrale de Westminster. »Citons une réflexion morale du 16 septembre 1914 : « Epoque révélatrice du fond des cœurs, du bien et du mal. L’héroïsme est rare dans
la paix, où les âmes sont retenues par mille liens et par l’opinion dominante. En guerre, les liens tombent, les âmes sont débarrassées de la fortune, des préjugés, des voisinages déprimants. » On pense à Joseph de Maistre parlant de la guerre. René Bazin est reçu à Rome le 15 mars 1915 par le cardinal Merry del Val qui évoque Pie X (2) : « Le cardinal me raconte que, dans les années 1912,13, 14, bien souvent, le matin, quand il voyait le pape pour les affaires, celui-ci disait : « Vien il guerrone ; non passera l’anno decimo quarto ». « Elle vient la grande guerre ; l’année 1914 ne passera pas. »

On trouve une réflexion politique dans la lettre qu’il adresse au maréchal Foch au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918 : « Puissiez-vous, dans les conditions de la paix prochaine, faire entrer la cession, à la France, de la rive gauche du Rhin, que les armées sous vos ordres vont occuper. Puissions-nous ne jamais abandonner cette tranchée nécessaire, notre défense contre les invasions futures, la limite naturelle, le rêve séculaire de la France ! »

Profondément amoureux de son pays, mais étranger au patriotisme jacobin, René Bazin voit dans la Grande Guerre une occasion de régénération pour la France qui a renié le
baptême de Reims. Dans le droit fil de son œuvre romanesque, il ne sépare jamais catholique et français.

G. Bedel

(1) – Récits du Temps de la Guerre, Calmann-Lévy, 1915.
Etapes de ma vie (extraits de ses notes intimes), Calmann-Lévy, 1936 (posthume).
(2) – Pie X n’était pas encore canonisé, il régnait et sera porté sur les autels par Pie XII.
(*) 3 autres ouvrages de RENE-BAZIN évoquent ce sujet :
Pages religieuses :Temps de guerre 1915
Aujourd’hui et demain : Pensées du temps de la guerre 1916, avec 50 récits
La campagne française et la guerre, 1917


LETTRE D’UN JEUNE PRÊTRE MORT POUR LA FRANCE EN 1916

Publiée dans le livre « Aujourd’hui et demain : pensées du temps de la guerre », (pages 346 à 348 Ed Calmann Levy 1916)

Cette lettre est celle d’un jeune prêtre que je nommerai. Il a été tué, d’une balle de shrapnell, le 3 avril, à trois kilomètres de Reims. Avant la guerre, l’abbé Gabriel Choimet était répétiteur à l’école Saint-Stanislas de Nantes. Réformé, il demanda à partir comme aumônier. Il avait 27 ans. Les soldats qui l’ont relevé, dans la tranchée, ont trouvé sur lui cette lettre testamentaire, adressée à ses deux soeurs, religieuses bénédictines.
Elle est si belle que ceux-là mêmes en seront émus, auxquels peuvent échapper quelques-unes des raisons d’un si calme sacrifice et du désir même de mourir, si
vivre devait être moins parfait que mourir. Nous devons publier de tels documents, parce qu’ils sont, à la calomnie, une réponse qui la domine infiniment, et que le pays tout entier est honoré, où vivent de telles âmes.

« Dieu, — les âmes, — la France.
Ma bien chère petite Edith, ma bien chère petite Alice, si vous recevez cette lettre, c’est que le bon Dieu aura accepté le sacrifice que, depuis longtemps déjà, je lui ai fais de ma vie. Avec moi, mes bien chères petites, il faudra, non pas pleurer, mais remercier Dieu, qui aura exaucé ma prière.
Elle a toujours été en effet : mon Dieu, faites en moi votre sainte volonté. Si, fidèle à votre grâce, je puis vivre uni à vous malgré les distractions, les tentations, les épreuves, devenir même, à cause d’elles, meilleur et plus saint…j’accepte avec amour de vivre, quelles que soient les croix à porter.
Mais si, cédant à ma faiblesse, je dois vieillir en devenant moins prêtre, en comprenant moins la croix, si je dois me rechercher et travailler pour moi, au lieu de travailler pour les âmes et en définitive pour Dieu, prenez-moi de suite près de vous, pour que, du moins, vous retiriez de ma mort ce que je n’aurais pas eu le courage de vous donner par ma vie : un peu de bien fait aux âmes, un peu d’amour et de gloire pour vous…
Il faudra vous dire, mes chères petites sœurs,… et vous ferez savoir tout cela à Papa, Fernand, Violette et Madeleine, que, maintenant plus que jamais, j’aime chacun de vous ; que je veille davantage sur vos âmes ; que je vous suis dans chacune de vos journées, partageant vos joies et vos peines…
Vous prierez aussi pour que ma mort obtienne de Dieu ce que je lui demande en lui offrant ma vie. Mon Dieu, je vous offre mon pauvre sang, afin que votre règne arrive, et que votre volonté soit faite ; établissez votre règne dans toutes les âmes ! »

Il n’est guère possible à une créature de monter plus haut, ni de se montrer plus fraternelle, ou d’une plus large fraternité. Comment expliquer, humainement, que la haine la plus tenace réponde à cet amour là ? Ce qu’il faut retenir, et ce qui m’a fait publier cette lettre, c’est que la France, dans ses prêtres et l’élite de son peuple, sans distinction de rangs, est une nation toujours pénétrée de surnaturel.

René Bazin


RENE BAZIN : LES SOURCES VIVES DE L’ECRIVIAN : L’ART, LA TRADITION ET LA FOI

Communication de Monsieur Germain SICARD, donnée à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, le 24 novembre 2012.

« Le blé qui lève » publié en 1907 est une sorte de pendant pour le monde des travailleurs salariés de « La terre qui meurt ». Le milieu est celui des bucherons de la Nièvre parmi lesquels ont explosé de dures grèves. Le héros du roman Gilbert Cloquet qui est un peu le porte parole de l’auteur, est un robuste travailleur honnête et respecté de tous qui commence par grouper ses compagnons pour des actions de défenses équitables, mais il sera vite dépassé et exclu par des révolutionnaires démagogues et il poursuivra une vie pénible et coupée de déception. L’ouvrage au second degrés est une réflexion sur l’action syndicale. Bazin connaît l’encyclique Rerum Novarum de LEON XIII, il est conscient des misères du monde ouvrier. Mais par quelle forme d’organisation syndicale ? Bazin appartient à ce qu’on appelle l’école d’Angers qui se défie de l’intervention de l’Etat et préfèrerait des associations professionnelles d’employeurs
et salariés, tandis que le mouvement historique évoluera vers les syndicats de classe avec la dérive révolutionnaire possible. L’expression « Le blé qui lève » fait allusion à la conscientisation des jeunes travailleurs qui permettent d’espérer une solution équitable aux conflits sociaux. Bazin connaissait les premiers syndicats chrétiens qui se regrouperont en CFTC.

Germain SICARD
Académie des Jeux Floraux – 19e fauteuil élu en 2001, Commandeur des Palmes académiques;


REMINISCENCES DES « OBERLE » (1ERE PARTIE)

« Un peu de brume montait aussi des ravins. Elle ne portait point encore le parfum des jonquilles et des fraisiers sauvages, mais l’autre seulement qui n’a pas de nom et n’a pas de saison : le parfum des résines, des feuilles mortes, des gazons reverdis, des écorces soulevées sur la peau neuve des arbres, et l’haleine de cette fleur éternelle qu’est la mousse des bois. » Les Oberlé, « Nuit de février en Alsace », p. 7(3)

Il m’apparaît aujourd’hui que j’ai dû m’attarder bien longtemps, quand j’étais petit, à lire des auteurs dits ‘ pour la jeunesse ‘ : Jules Verne ( Les Enfants du capitaine Grant ),
Herbert George Wells ( L’Île du Docteur Moreau ), Jack London ( L’Aventureuse ), James Oliver Curwood ( La Vallée du silence ), Victor Hugo ( Bug-Jargal ), Gustave Aimard ( Les
Pirates des prairies ), Fenimore Cooper ( Le Chasseur de daims ).

Au passage de la première année de l’enseignement secondaire à la seconde ( on disait en Belgique à l’époque la 6e et la 5 ), j’ai eu comme professeur de français un de mes
oncles, excellent professeur au demeurant. Je me rappelle encore qu’il m’avait vu plongé dans « Les Trappeurs de l’Arkansas ». Et je l’entends me dire encore ( c’étaient les vacances précédant la rentrée … ) : ‘ Si tu veux, tu peux déjà prendre un peu d’avance sur l’année scolaire prochaine. ‘ ( Et à dire vrai je ne me rappelle pas vraiment avoir été si content de cette manière d’interrompre les vacances … Je n’ai d’ailleurs, je crois, pas suivi le conseil ! )

Toujours est-il que après, j’ai commencé à lire des auteurs un peu différents : « Amère victoire » de René Hardy, « Un Homme se penche sur son passé », le Goncourt de Maurice Constantin-Weyer, ou encore « Matterhorn » et « L’Escadron blanc » de Joseph Peyré. Et « Les Oberlé » de René Bazin fut la première œuvre sur laquelle je me souvient d’avoir fait un ‘ travail de français ‘ pour mon oncle, une transition naturelle menant d’un livre de la collection ‘ verte ‘ à un autre …

Il fallait simplement, si je me souviens bien, raconter l’histoire, épingler quelques mots de vocabulaire qu’on allait chercher dans le dictionnaire ( si la maison en avait un ! ), dire un mot sur l’écrivain et enfin ébaucher un début d’avis. Il n’y avait d’ailleurs nulle contrainte quant au choix des œuvres qu’on lisait : quelque chose comme cinq ou six sur l’ensemble de l’année, je crois, pas plus … Si schématique qu’il fût, le système de mon oncle avait du bon, nous initiant hardiment, l’air de rien, à l’analyse littéraire. On pourrait d’ailleurs fort bien imaginer aujourd’hui un passionnant cours d’introduction
à la littérature qui utilisât habilement les œuvres du romancier ! (4)
Ce premier roman lu – bientôt suivi d’ »Une Tache d’encre », trouvé à la bibliothèque communale – est resté pour moi un phare lumineux de fidélité. Bien des choses sont frappantes, me semble-t-il, dans l’œuvre de Bazin. L’authenticité de la recréation littéraire. Ou la récurrence de certains thèmes, comme lorsqu’on compare « De toute son âme » et « Magnificat » : le prêtre et la religieuse renoncent pour le Très-Haut, mais non sans difficulté, à la personne aimée. Une même problématique est manifestement à l’œuvre. Le portrait aigu de la nature et des sentiments est, chez l’écrivain, évident.
Mais c’est la justesse de ton qui me semble essentielle, comme le style incomparable. Prenez le pittoresque portrait du pianiste Francis Planté ( « Chez Francis Planté » ) dans les « Croquis de France et d’Orient » : pas le moindre détail qui ne soit justifié. Les gants du pianiste, le mauvais harmonium de campagne, tout concourt à la vérité de cette évocation du grand musicien.

Combien de fois n’ai-je pas relu, dans « Les Oberlé », l’admirable description du promeneur qui descend vers les brumes du Rhin par quoi s’ouvre le premier chapitre ? Je suis même allé, avec mon épouse, à plusieurs reprises, tout récemment, éprouver la justesse de ton et la précision de l’évocation du Mont Sainte-Odile, près d’Obernai, la fontaine et la petite route qui monte des vignobles …

« Jean sortit en hâte, descendit au bas du rocher qui porte le monastère, et, retrouvant la route qui vient de Saint-Nabor et passe auprès de la fontaine de sainte Odile, alla se poster dans une partie épaisse de la futaie, qui dominait un tournant de la route. Il avait, à ses pieds, le ruban de terre battue, sans herbe, tapissé d’aiguilles de sapins, et
qui semblait suspendu en l’air. Car, au-delà, la pente de la montagne devenait si raide qu’on ne la voyait plus. Dans les temps clairs, on découvrait deux contreforts boisés, qui s’enfonçaient à droite et à gauche. En ce moment, la vue se heurtait au rideau de brume blanche qui cachait tout, l’abîme, les pentes, les arbres. Mais le vent soufflait et remuait ces vapeurs, dont on sentait que l’épaisseur variait incessamment. »

Jean-Louis Cupers, Université Saint-Louis, Bruxelles

(3) Citations d’après l’édition 1954 ( ‘ Bibliothèque de la jeunesse ‘ ), Paris, Hachette ( copyright 1931 ). 3
(4) Certaines anthologies anciennes donneraient d’utiles indications. Naguère utilisée dans l’enseignement secondaire en Belgique, une anthologie propose la lecture de ‘ La Veuve du loup ‘ ( P. HANOZIN, Modèles français, Cours supérieurs, 13e éd.,
Bruxelles, Lesigne, 1937, p.625 – 632 ).

 


RENE BAZIN ET SIMONE WEIL : DEUX PENSEES CONVERGENTES

Présenter René Bazin aux membres de l’association est redondant avec l’ensemble des travaux passés et présents sur l’écrivain. Brièvement, on peut situer René Bazin (1853-1932) dans le style de Balzac et Flaubert avec une attention particulière, due à l’influence chrétienne, sur le devenir de l’âme de ses héros en plus de leur
condition humaine. Par contre, il est possible que Simone Weil ne soit pas familière
aux membres de l’association. Tout d’abord, ne pas confondre Simone Weil avec Simone Veil : entre les deux il y a toute une différence de l’Etre !

S. Weil fut une sorte de supernova dans le paysage philosophique : elle brilla d’une lumière intense mais courte (1909-1943). Elle fit sa Khagne avec Alain comme professeur dephilosophie et intégra l’ENS pour passer l’agrégation de philosophie à sa sortie. Elle s’engagea immédiatement du côté des plus pauvres pour prendre leur défense en philosophe. Elle demanda une mise en disponibilité pour aller travailler en usine dont l’entreprise était dirigée par Auguste Detoeuf (premier président d’Alsthom) qui la protégea contre son engagement total mais dont elle ne sortit pas indemne physiquement. Elle faillit être révoquée de l’instruction publique pour son engagement politique du côté des libertaires mais ce fut Vichy qui s’en chargea par la loi qui excluait les juifs de tous les postes administratifs. Elle découvrit le christianisme avec le R.P. Perrin en la personne de Jésus et, immédiatement, elle vit dans cette religion l’aboutissement de sa propre pensée, ce qui lui fit rejeter le judaïsme et le marxisme. Elle finit par atterrir en zone libre chez le philosophe Gustave Thibon à qui elle confia ses notes qui aboutirent à deux œuvres d’importance : « la pesanteur et la grâce » d’une part et « l’enracinement » d’autre part. G. Thibon les publia en 1950. S.Weil mourut de la tuberculose en Angleterre en refusant de manger plus que la ration de base des français sous l’occupation.

vierge rangeardieresAlors, quel est le rapport entre S. Weil et R. Bazin ? Sur le plan de la trajectoire, aucun : heureusement qu’ils ne se sont pas connus, il aurait été exaspéré par les spéculations
intellectuelles de S. Weil, et, réciproquement, elle aurait été énervée par le calme et la stabilité de pensée de R. Bazin. SAUF QUE, tous les deux, malgré les deux générations qui les séparent, ils ont traité entre autres des deux sujets suivants:
La différence entre aimer et aimer de toute son âme
L’enracinement.

De S. Weil, G. Thibon disait qu’il n’avait jamais vu chez un être humain une pareille familiarité avec les mystères religieux. Elle abordait l’étude de l’être avec la puissance de son analyse de plus formée à la rigueur par son frère André lui-même ENS Ulm math et chef de file des Bourbakistes. Les Bourbakistes furent un certain nombre de normaliens (Weil, Dieudonné, Cartan, Schwartz, etc..) qui réformèrent de fond en comble les
mathématiques.
C’est par ce biais que S. Weil compris la différence entre aimer intellectuellement par l’esprit et aimer de toute son âme qui suppose un engagement total de l’être.
L’engagement chez Simone Weil résulte d’un processus intellectuel qui mène à la spiritualité en tant qu’état ultime de l’être. Il est une tension, une aspiration
intérieure d’une créature vers son créateur Il est essentiellement spirituel chez Simone Weil car elle adhère directement à la personne du Christ et à son enseignement sans passer par l’Eglise dans laquelle elle refusera d’entrer à cause de son aspect dogmatique.
Elle découvrira directement dans le Christ une religion totalement ouverte. Ce thème est développé dans son ouvrage : « la pesanteur et la grâce ». Elle rejoindra la
maxime de Saint Augustin (Aime et fais ce que voudras) lui-même imprégné de platonisme, et quand on sait la vénération que Simone Weil portait sur Platon, la
cohérence s’impose d’elle-même.

Chez R.Bazin, la foi de ses personnages leur donne ce courage de conviction qui leur permet d’acquérir le niveau spirituel qui permet l’union des âmes. L’engagement, chez René Bazin suit la morale chrétienne, elle-même issue de la morale juive définie par
le Décalogue. Il vit son christianisme dans l’obéissance à l’Eglise catholique à laquelle il adhère totalement. On notera que, chez René Bazin, l’amour est d’abord défini par une relation entre deux êtres. Le caractère spirituel des relations entre deux êtres se place au niveau de leurs âmes, et c’est ainsi que René Bazin met en évidence ce qu’est aimer de toute son âme. L’expression doit être prise au sens de l’amour primordial de deux
âmes au sens grec du terme (agape) . Nous nous référons à l’excellent ouvrage d’Abel Moreau : « René Bazin et son oeuvre romanesque » (1934).

Dans les deux cas, l’être humain est une créature religieuse qui ne peut se réaliser qu’avec sa dimension religieuse, c’est-à-dire son âme.

L’autre sujet traité en commun est le thème de l’enracinement.

Dans les deux cas, sortir un être humain de ses racines primordiales, c’est le détruire. On entend par racines primordiales l’ensemble des paramètres de l’écosystème d’être humain. Cet ensemble de paramètres définit son identité acquise à travers ses gènes sur plusieurs générations.

Chez R. Bazin, les personnes qui quittent leur racine rurale dans « la terre qui meurt » perdent leur identité et vont grossir la cohorte des déracinés sans repère.
L’enracinement, c’est, chez R. Bazin, l’attachement à la terre, considérée comme une patrie. Cet enracinement est social à travers la famille et la patrie. Cette dernière notion est définie par l’ensemble de paramètres communs à un ensemble d’individus (langue, coutumes, habitudes, liens familiaux, etc.) . L’adhésion au groupe se fait chez René Bazin par la naissance et le développement dès la naissance des liens sociaux. Les devoirs du groupe envers l’individu sont d’abord d’origine familiale. La notion d’enracinement est, chez lui, locale.

Chez S. Weil, « l’enracinement » est consacré d’abord au déracinement d’un individu, d’une nation avec une vision très fine des différents liens sociaux, puis au concept
d’enracinement avec la défense de l’individu contre toute forme d’oppression. L’adhésion au groupe passe par l’amour du leader du groupe (l’URSS pour les ouvriers, l’Etat pour les français) qui a donc des devoirs très importants envers les membres du groupe. La notion d’enracinement est, chez elle, globale.

Il est tout à fait étonnant que deux êtres très différents dans leur origine et leur formation puissent aboutir à des conclusions semblables sur des sujets touchant au devenir de l’être humain : René Bazin avec son engagement spirituel derrière le Christ, en peine communion avec l’Eglise, Simone Weil avec son élan mystique et son engagement spirituel directement derrière le Christ. Image3

Tous les deux ont eu un engagement fort du côté des pauvres (le terme doit être pris au sens évangélique, celui qui est rejeté, qui souffre, qui subit l’oppression). Tous les deux ont eu une conscience très forte de la notion de nation : Elle est désignée chez Simone Weil (« L’enracinement » au chapître : déracinement et nation) comme chez René Bazin ( « les Oberlé ») comme la source de la résistance à l’oppression. Ils montrent qu’il existerait une pensée religieuse inhérente à la pensée humaine. On y accède par tradition ou par réflexion, mais elle semble pré-existante . Pourvu qu’on réponde aux deux critères suivants :
– Etre en devenir. C’est-à-dire rester ouvert à l’évolution.
– Etre libre. C’est-à-dire rester ouvert aux idées.

Jérôme de REFFYE


QUELQUES SOUVENIRS ENTRE 1914 ET 1930

René Bazin était la courtoisie même, la courtoisie angevine, des gens de la rive droite, des coteaux du Layon, de Craon,du territoire « jardin de la France » qui est la Touraine, entre Ancenis et Orléans.Nous voilà loin du « petit Liré » de J. du Bellay.
Sa courtoisie s’exprimait par le geste accueillant, mains ouvertes, bras tendus vers l’invité, ou quel que soit celui qui sonne à la grille, ou qui s’avance jusqu’au perron de cette grande maison, gentilhommière du XVIIIème siècle, à grand toit pentu, orné de deux hautes cheminées, dont l’une à girouette.

Sa courtoisie s’exprime ensuite par la connaissance qu’il fait des Rangeardières à l’ami, au visiteur. Il l’emmène au potager, très bien entretenu par l’illustre « Pierre », à la
famille duquel les Bazin s’intéressaient beaucoup. Ensuite, c’était « le tour du rond ». Ce dernier, une grande pelouse plantée de deux beaux cèdres, encore là, avec leurs branches accessibles pour la récréation des enfants : le « rond », cette pelouse encadrée de bosquets qu’on longeait jusqu’au bout, c’est-à-dire une charmille perpendiculaire et un petit bois. Un banc, toujours là, favorisait la conversation.

Entre deux arbousiers, le regard fixé sur la maison, Grand-père parlait de ses collègues académiciens, des séances du jeudi qu’il ne manquait pas, des futurs candidats, de son ouvrage en cours. Mais cette lecture se faisait aussi à la veillée du soir, au salon éclairé par la lampe à pétrole. Il attendait notre jugement.

Je vois encore le geste élégant de René Bazin pour décapiter les roses fanées. Il fallait garder des fleurs pour la maison, ce qui était l’affaire de sa plus jeune fille, Françoise, « Tante Fafa ». Devant le perron, un espace était commode pour le croquet. René Bazin jouait aux « Grâces » avec sa plus jeune fille (il s’agit d’un jeu d’anneaux).

Sur la façade Ouest, une céramique de Lucca Del Robbia, rapportée d’Italie nous rassemblait, avant les grands départs, pour un Salve Regina.

René Bazin, c’était la mesure, la mesure française. L’expression de ses convictions, religieuses ou politiques, était ferme, jamais emportée ; et sa démarche équilibrée.

La veillée terminée, René Bazin s’agenouillait devant la cheminée ; on se rassemblait ; oncles et tantesalors Grand-Père parlait vraiment à Quelqu’un, Celui qu’il appelait « mon Jésus-Christ », et dont il a proclamé un jour son amitié à l’Académie Française. Au salon on entendait sa voix, recueillie, ferme… « Mettons-nous en la présence de Dieu, et adorons-Le… »

Il aimait le silence quand il écrivait. Heureusement son cabinet de travail se trouvait au bout d’un long couloir, recouvert d’un tapis.

René Bazin aimait « les gens » de sa paroisse Saint-Barthélémy. L’un de ses loisirs était le jeu de boules, sur un fond incurvé, avec ses rites. Il en revenait tout réjoui.

A table, où il était, non gourmand, mais gourmet, il exprimait facilement ses goûts. Et tous, nous les connaissions. Marie, la cuisinière, gardée des années, venait de son fourneau à la salle à manger, et se voyait souvent félicitée.

René Bazin, dans son petit salon du 6, rue Saint Philippe du Roule, est assis par terre, devant le poêle, en comportement familial, à la portée de ses petits-enfants, près du feu.

Soeur Donatienne CATTA
Chanoinesse Régulière de Saint Augustin
Religieuse de Notre-Dame des « Oiseaux »
Petite fille de René Bazin, née le 24 avril 1910 à Nantes,
Résidant à La Florida, 59 rue des Glaises, Brunoy 91800


DÉVOILEMENT DE LA PLAQUE  » RENE BAZIN » LE 4 NOVEMBRE 2014

Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris et Jeanne d’Hauteserre, maire du 8ème ardt, entourés d’une soixantaine de personnes, ont assisté au dévoilement de la
PLAQUEplaque à la mémoire de RENE-BAZIN sur l’immeuble situé au 6, rue Saint Philippe du Roule ou vécu l’académicien des années 1900 à 1932. Bruno René-Bazin et Jacques Richou se sont beaucoup investis dans la réalisation de cet évènement, qu’ils en soient remerciés. A droite de cette photo, nous pouvons reconnaître Daniele Sallenave de
l’académie française qui occupe le fauteuil n° 30 de René Bazin, ainsi que deux petites-filles de René Bazin : Sœur Donatienne Catta et Elisabeth Partiot. Le bulletin municipal du 8ème ardt( décembre ) a retracé cette manifestation ainsi que Ouest-France(5 novembre ).


UN BEL ELOGE DE CHARLES PEGUY

Dans le livre « Etapes de ma vie », publié aux Editions Calmann-Levy, en 1936, quatre ans après la mort de l’académicien (notes et carnets personnels choisis par soPEGUYn fils Nicolas), pages 193 et 194, on peut lire le bel éloge de Charles Péguy, rédigé par notre auteur le 28 février 1926 :
« Curieuse et touchante soirée ; R. Garric, fondateur des équipes sociales, m’avait prié d’assister à une soirée sur Péguy… Ce n’est pas une conférence, mais une lecture, excellente d’ailleurs…Qu’a lu ce comédien ? De longs morceaux de Péguy : les imprécations de Jeanne contre la guerre ; la gloire du blé changé en corps divin, du jus de la grappe changé en sang de Jésus ; le conte de deux pèlerins qui se termina par un conseil pour le salut des âmes ; les souffrances de la sainte Vierge montant au calvaire ; la beauté d’un petit enfant disant sa prière du soir…Que disait le public ? Ravi, touché au cœur, il applaudissait…Quel mérite a eu Péguy, capable de monter si haut et de se plaire dans les hauteurs. Quand il y est, il n’en descend pas. »

RENE BAZIN

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