Lettre d’un jeune prêtre mort pour la France en 1916

Cette lettre est celle d’un jeune prêtre que je nommerai. Il a été tué, d’une balle de shrapnell, le 3 avril, à trois kilomètres de Reims. Avant la guerre, l’abbé Gabriel Choimet était répétiteur à l’école Saint-Stanislas de Nantes. Réformé, il demanda à partir comme aumônier. Il avait 27 ans. Les soldats qui l’ont relevé, dans la tranchée, ont trouvé sur lui cette lettre testamentaire, adressée à ses deux soeurs, religieuses bénédictines. Elle est si belle que ceux-là mêmes en seront émus, auxquels peuvent échapper quelques-unes des raisons d’un si calme sacrifice et du désir même de mourir, si vivre devait être moins parfait que mourir. Nous devons publier de tels documents, parce qu’ils sont, à la calomnie, une réponse qui la domine infiniment, et que le pays tout entier est honoré, où vivent de telles âmes.

« Dieu, — les âmes, — la France.

Ma bien chère petite Edith, ma bien chère petite Alice, si vous recevez cette lettre, c’est que le bon Dieu aura accepté le sacrifice que, depuis longtemps déjà, je lui ai fait de ma vie. Avec moi, mes bien chères petites, il faudra, non pas pleurer, mais remercier Dieu, qui aura exaucé ma prière.

Elle a toujours été en effet : mon Dieu, faites en moi votre sainte volonté. Si, fidèle à votre grâce, je puis vivre uni à vous malgré les distractions, les tentations, les épreuves, devenir même, à cause d’elles, meilleur et plus saint…j’accepte avec amour de vivre, quelles que soient les croix à porter. Mais si, cédant à ma faiblesse, je dois vieillir en devenant moins prêtre, en comprenant moins la croix, si je dois me rechercher et travailler pour moi, au lieu de travailler pour les âmes et en définitive pour Dieu, prenez-moi de suite près de vous, pour que, du moins, vous retiriez de ma mort ce que je n’aurais pas eu le courage de vous donner par ma vie : un peu de bien fait aux âmes, un peu d’amour et de gloire pour vous…

Il faudra vous dire, mes chères petites sœurs,… et vous ferez savoir tout cela à Papa, Fernand, Violette et Madeleine, que, maintenant plus que jamais, j’aime chacun de vous ; que je veille davantage sur vos âmes ; que je vous suis dans chacune de vos journées, partageant vos joies et vos peines…

Vous prierez aussi pour que ma mort obtienne de Dieu ce que je lui demande en lui offrant ma vie. Mon Dieu, je vous offre mon pauvre sang, afin que votre règne arrive, et que votre volonté soit faite ; établissez votre règne dans toutes les âmes ! »

Il n’est guère possible à une créature de monter plus haut, ni de se montrer plus fraternelle, ou d’une plus large fraternité. Comment expliquer, humainement, que la haine la plus tenace réponde à cet amour là ? Ce qu’il faut retenir, et ce qui m’a fait publier cette lettre, c’est que la France, dans ses prêtres et l’élite de son peuple, sans distinction de rangs, est une nation toujours pénétrée de surnaturel.

René Bazin

* Publiée dans le livre

Aujourd’hui et demain : pensées du temps de la guerre,

(pages 346 à 348 Ed Calmann Levy 1916)

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