Foucauld: Les témoignages manqués

Le 23 avril 2013 Madame Josette Fournier, dans le cadre des Amitiés Charles de Foucauld,  a donné une remarquable conférence apportant un éclairage nouveau sur la biographie de Foucauld par René Bazin. Par la même occasion elle a elle-même écrit une très intéressante biographie de l’académicien.

Voici le texte de cette conférence, pour lequel nous remercions son auteur.

 L’itinéraire de René Bazin, biographe de Charles de Foucauld 

Les témoignages manqués d’ Henry de Castries et d’Alexandre de Roche du Teilloy

Cet itinéraire donnera quelque éclairage sur la formation de Bazin quand il prend la décision d’écrire une biographie de Foucauld, comment de juriste, romancier et publiciste est-il devenu historien collecteur de documents ? Notons que Bazin avait déjà écrit la biographie du duc de Nemours (1905) et celle de l’enseigne de vaisseau Paul Henry (1902). Nous verrons qu’il aurait pu disposer d’autres témoignages sur Charles de Foucauld, considérés aujourd’hui comme importants et qui lui ont échappé.

Sources
J’ai utilisé pour ce travail les articles de Tony Catta et ceux de Monique Catta, divers documents des archives Bazin (AD 49) et Dampierre (AN), d’autres (presse et état-civil) des AD 54 et 49, ainsi que des ouvrages publiés sur l’écrivain, par lui, par ou sur ses disciples (François Mauriac : Fauteuil XXX. René Bazin, 1931 ; René Bazin : Etapes de ma vie, 1936 ; Tony Catta : Un romancier de vraie France René Bazin, 1936 ; Abel Moreau : René Bazin et son œuvre romanesque, 1934 ; Mgr Francis Vincent : René Bazin, l’homme et l’écrivain, 1940 ; Charles Baussan : René Bazin, 1941 ; Martine Dufossé : Les Bazin et la province d’Anjou, Mémoire de maîtrise, 1973 ; Daniel Couturier : Charles Baussan (1860-1955), 2000)

Origines
La famille est angevine depuis le XVIIe siècle. Le grand-père de René Bazin, Nicolas, était greffier du tribunal civil de Segré, il était en outre grand chasseur et peintre averti. Le père de René, Alfred Nicolas Marie Bazin, est né à Segré le 26 août 1821 de Nicolas Bazin et Renée Zoë Anne Le Guen. Il avait été avocat avant de fonder avec son beau-père, Barthélemy François Meauzé, adjoint au maire d’Angers, un commerce de confection de vêtements en toiles paysannes de Cholet. La mère de René, Elisabeth Jeanne Aimée Meauzé, était née à Paris le 27 mars 1831 de Barthélemy François Meauzé et Claire Chantal Chiron.
Le couple Bazin-Meauzé s’était marié à Angers le 15 janvier 1850. René est le troisième de cinq enfants, le premier était décédé en bas âge. René naît le 26 décembre 1853 à Angers, après Marie Elisabeth Claire née le 6 octobre 1850 et Geneviève Andrée Marie née le 2 juin 1852. Un autre garçon, Ambroise Henri Jean Marie, naît le 2 février 1856 (marié à Laval avec Marthe Marie Marie-Rousselière le 18 février 1878, et une dernière fille, Lucie Henriette Louise Marie, naît le 21 juin 1858 (décédée à Toulon le 6 septembre 1948). L’aînée des sœurs de René Bazin, Marie, est la grand-mère de l’écrivain Jean Hervé-Bazin, elle a épousé le 7 août 1869 Ferdinand Jacques Hervé (11 juin 1847-8 janvier 1889), connu en littérature sous le nom de Charles Saint-Martin. Marie, elle-même, a écrit sous le pseudonyme de Jacques Bret, des romans dont le cadre était l’Anjou. La famille comptait une longue liste d’ecclésiastiques. Au temps de René Bazin, la Vendée militaire était encore très présente aux angevins, René est resté fidèle aux idées de son bisaïeul Nicolas, lieutenant de Stofflet. Son milieu social, catholique fervent et légitimiste, est celui de la bourgeoisie terrienne de l’Ouest. René Bazin adoptera avec une absolue fidélité les instructions sociales de Léon XIII.
Elevé dans une atmosphère de vieille France, il a le culte de la famille, des lieux et de la tradition ; il est enraciné à Marans au sud de Segré, dans le Craonnais, au cœur du bocage angevin qu’il décrit dans Ma tante Giron (1884). Le père de René avait hérité à Marans d’une ancienne ferme agrandie par lui, Le Pâtys, devenue résidence d’été de la famille. A Marans les Bazin jouissaient d’un certain prestige ; René a participé aux jeux et travaux des enfants de paysans, puis, plus grand, à de grandes chasses collectives. Ses parents avaient aussi loué une petite propriété à la Bufféterie près de Saint-Barthélemy d’Anjou pour soutenir la santé fragile de leur fils. La Bufféterie est proche des Rangeardières, maison reçue en héritage de la belle-mère de René en 1902.

Formation
Après deux ans au lycée d’Angers René était entré à 13 ans comme interne au collège (et petit séminaire) de Mongazon où il a fait ses études secondaires et noué des relations durables avec de futurs prêtres. Parmi eux se trouvait Ludovic Jean Baptiste Girault (né le 10 septembre 1853 à Saint-Aubin de Luigné, décédé en 1941), plus tard Père Blanc, qui a joué un rôle certain dans la décision de Bazin d’écrire la biographie de Foucauld, dans la mise à sa disposition des documents dont il a dû prendre connaissance et qui l’a accompagné sur les lieux de vie de Foucauld en Algérie. (Voir dans les Actes du Colloque d’Angers 2006, que j’ai coordonné, Charles de Foucauld, Amitiés croisées, les contributions de Jean-Claude Cellier, missionnaire d’Afrique, et de Paul Fournier). En 1872 René est bachelier. Son père décède brutalement le 8 novembre, la même année que son grand-père.

L’adolescent est amoureux, son choix a l’approbation de sa famille mais le mariage avec Aline Charlotte Lucie Bricard, fille d’un marchand quincailler d’Angers, née le 30 mars 1855 à Angers, n’est célébré que le 18 avril 1876 dans l’Eglise Saint-Serge d’Angers. Un frère d’Aline, Ernest Charles Adrien, médecin, avec lequel René cohabite à Paris de 1873 à 1875 pendant leurs études respectives, épousera la plus jeune sœur de René, Lucie, le 4 avril 1877. La mère d’Aline et d’Ernest était née Marie Madelaine Caroline Morier, fille d’un boulanger de la Place de la Laiterie à Angers, le 8 février 1830. Elle est décédée à Angers le 5 juin 1902. Elle avait épousé leur père, René Bricard, le 2 juin 1851, lequel était décédé le 26 juillet 1870.

En 1872 René commençait des études de droit à Paris ; en compagnie de son futur beau-frère, il va à la messe presque chaque jour. Ils fréquentent la Conférence Ozanam et les Conférences de Saint-Sulpice. René y retrouve des condisciples angevins et s’exerce à la prise de parole en public en donnant des conférences. Fin 1874, introduit par Albert Lemarchand (1819-1889) dont nous allons reparler, il est secrétaire d’un avocat de la Cour d’appel de Paris, il fait un stage à la bibliothèque nationale d’une semaine en avril 1875. Ces expériences le dissuadent de choisir les métiers d’avocat ou de bibliothécaire. Toujours guidé par Lemarchand il prend un directeur de conscience, l’abbé Dulong de Rosnay.
Albert Lemarchand est bibliothécaire autodidacte de la ville d’Angers. Il était né au Mans en 1819. Visant l’Ecole polytechnique il dut brusquement renoncer à faire des études lorsqu’il perdit son père en 1835, il avait 16 ans. Il tâte alors d’un voyage à Saint-Domingue dans l’espoir d’une carrière maritime. Pour finir il se contente d’un poste de conducteur des Ponts et Chaussées à Angers pour subvenir à l’éducation de ses frères et soeurs. Il travaille seul, l’histoire, la bibliographie, le latin, la littérature, soutenu et encouragé par son logeur, l’abbé Morel. Appuyé par le ministre Freslon et le député comte de Falloux il postule en 1848 à un poste d’adjoint au bibliothécaire de la ville. La bibliothèque d’Angers est riche. Grâce à l’ex-bénédictin Dom Braux devenu bibliothécaire de l’Ecole centrale du département, et à Louis-Marie de La Revellière-Lépeaux, l’un des Directeurs de Paris, elle a recueilli après 1791 les livres et manuscrits des grandes abbayes angevines et un nombre d’ouvrages prélevés dans les bibliothèques de Paris. Toussaint Grille, novice à l’abbaye Toussaint d’Angers puis bibliothécaire des abbayes d’Eu et de Ham, rentre à Angers avec un véritable trésor littéraire. Il est le premier Conservateur qui s’occupe des manuscrits. Il rédige un Catalogue des Collections répertoriées. En 1843 son neveu, François Grille qui lui a succédé, rédige un nouveau catalogue de 729 manuscrits. A la mort de Toussaint Grille, en 1851, sa bibliothèque personnelle est mise en adjudication. Lemarchand, assisté de l’archiviste de la Préfecture, Marchegay, et autorisé par la Ville, avec l’aide généreuse de quelque angevin, acquiert pour plus de 40 000 francs d’ouvrages contre l’appétit éclairé des bibliothèques de Nantes, Rouen, Le Mans, Bayeux et même le British Museum. Lemarchand apprend la paléographie. Le fonds est installé au Logis Barrault, ancien séminaire puis Ecole centrale, actuel musée des Beaux-Arts, avec la création d’une salle de lecture. La bibliothèque s’accroît encore des manuscrits et collections de plusieurs Cabinets angevins : Goury, Blordier-Langlois, Guépin, Devaux. Le Conservateur en chef, Adville, charge Lemarchand de rédiger un nouveau Catalogue général qui, avec ses quatre volumes (Sciences et Arts, Lettres et deux volumes d’Histoire) est encore en usage. Il authentifie divers manuscrits, conseille le Directeur de la Bibliothèque nationale pour un échange avec le Danemark, ce qui vaut à Lemarchand la distinction de Chevalier de l’Ordre de Daneborg dont il est fier et qui lui est conférée par le roi du Danemark. Il est au coeur d’un important réseau d’intellectuels, chercheurs, universitaires, éditeurs et libraires spécialisés, français et étrangers. A Angers il fréquente la famille Pavie propriétaire des Rangeardières où elle reçoit ses amis écrivains et artistes, Sainte-Beuve, Victor Hugo, David d’Angers, et anime une petite Académie fondée par Louis Pavie dès 1823. Assisté d’un prestigieux Comité, Lemarchand assume la direction de la Revue d’Anjou et rassemble la documentation de son Album Vendéen publié en 1856. Il est aussi l’auteur d’un album d’une cinquantaine de dessins. En 1879 il publie un recueil de poèmes dénommé Brindilles, prose et vers. Il enseigne encore l’histoire à l’Ecole Saint-Sauveur d’Angers et les littératures étrangères dans un pensionnat de jeunes filles. En 1876, Mgr Freppel l’invite à participer au Comité d’orientation qu’il met en place pour accompagner la création de son Université catholique.
Le 28 décembre 1878, Lemarchand, mentor du jeune Bazin depuis la mort de son père, qui partage les vacances des Bazin depuis 1874, jusque-là célibataire, épouse discrètement la mère de René. La correspondance conservée entre René et Lemarchand s’étend de 1873 à 1884. Après 1878 René continue de se confier à lui, à lui soumettre ses écrits, à l’appeler « Cher Monsieur » et à l’assurer de « son meilleur souvenir ». Lemarchand est décédé le 3 mars1889, La déclaration de décès est signée de René Bazin et Victor Pavie. Ce légitimiste, catholique social engagé, a pesé, dit-on, sur la formation politique et religieuse de Bazin. Pour écrire ses biographies, Bazin, qui était juriste, journaliste et romancier, mais qui n’était pas historien, s’est probablement inspiré des goûts, des leçons et des méthodes reçus de d’archiviste-bibliothécaire Lemarchand.

Vie professionnelle
Licencié le 5 novembre 1875, Bazin s’inscrivait en doctorat à l’université catholique d’Angers récemment créée où son beau-frère, Ferdinand Jacques Hervé-Bazin, enseignait la procédure civile. Après ses succès aux deux examens de doctorat, le 30 mars 1876 et le 15 mars 1877, René devenait le premier docteur en droit de cette université le 10 juillet 1877. A cette époque il vit de leçons privées, puis, en 1879, il est nommé adjoint à la chaire de procédure civile de son beau-frère Hervé-Bazin, il entre par là dans le corps professoral. A partir du 1er mai 1881 il collabore comme rédacteur en second à L’étoile, organe légitimiste, très polémique, du bouillant Mgr Freppel, combattant durement à la fois les républicains et les libéraux de Falloux jusqu’au 13 septembre 1882, quand il devient titulaire de la chaire de droit criminel et démissionne de sa fonction de journaliste de L’étoile. Il y signait Jean Stret des chroniques violentes : « La République est comme l’apoplexie… Le libéralisme c’est une sorte de chiendent ». Cette expérience sera suivie de beaucoup d’autres engagements dans le journalisme : de février 1884 à fin juin 1886 il est correspondant français de L’Osservatore Catholico de Milan ; il a produit des chroniques dans le Journal des Débats, la Gazette de France, Le Gaulois, Le Figaro et L’Echo de Paris, où, de 1908 à 1914 il publie des billets signés Junius avec Barrès, Bourget, de Mun et Charles Benoist. Le 1er avril 1915 il est élu président de la corporation des publicistes chrétiens.
Il restera membre du corps des professeurs de l’université catholique d’Angers jusqu’à sa mort, venant ouvrir chaque année le cours repris ensuite par un suppléant. C’est un monde qui se rencontre, s’accorde, se fréquente, s’invite. Le 23 mars 1919, dû à ses charges d’académicien, il donnait à contrecœur sa démission et accédait à l’honorariat.

Plutôt petit, ni tribun, ni improvisateur, consciencieux, il s’imposait à son auditoire contraint au silence par sa voix douce et émotive. Il recevait les étudiants chez lui. A la mort de son beau-frère Hervé-Bazin, qui avait fondé un cercle étudiant, la Conférence Saint-Louis, qui se réunit le lundi soir à l’université, il en prend la direction ; néanmoins il est décrit comme un homme très sûr de lui, une assurance que certains, le Recteur Pasquier et Henry de Castries, son voisin au Louroux-Béconnais, jugent déplaisante dans des correspondances privées. Sa fille Elisabeth a écrit de lui « Rien ne l’entame, ni gens ni choses ».

L’écrivain
Il écrit ses premiers romans. Stéphanette (1883) qui commence à paraître en feuilleton dans l’Union, organe national des légitimistes le 10 août sous le pseudonyme de Bernard Seigny.
Ma tante Giron, en 1884, est publié d’abord dans le Correspondant et édité par Victor Rétaux. Ce roman est remarqué par Ludovic Halévy, jeune académicien, qui échoue à le faire primer par l’Académie mais qui introduit l’auteur au Journal des Débats où Bazin donne Une tache d’encre : « Mais c’était une chance immense, un gros lot ! » ainsi que Bazin l’écrit dans la préface d’En province. Entré au Journal des Débats, René Bazin voyage pour alimenter sa plume et plaire à des lecteurs casaniers mais curieux.
Une tache d’encre est primé par l’Académie française grâce à Halévy qui introduit maintenant l’auteur chez Calmann-Lévy, grand éditeur devant lequel Victor Rétaux s’efface avec générosité ; mais ces collaborations valent à Bazin le blâme des bien-pensants angevins, heureusement et habilement interrompu par le recours de Bazin à Mgr Freppel et l’intervention locale de l’évêque.
Les Noëllet (1889) est le premier de ses romans sociaux, paru au Correspondant, puis édité par Calmann-Lévy.
Suivent La sarcelle bleue (1892), De toute son âme (1897), La terre qui meurt (1899), Donatienne (1903) paru dans la Revue des Deux-Mondes en 1894 et qui donnera son prénom au premier enfant de Geneviève et Tony Catta le 24 avril 1910.
Davidée Birot (1912) était paru en 1911 dans la Revue hebdomadaire. Proche des interrogations de Charles de Foucauld sur l’incroyance, ce roman a inspiré de jeunes institutrices laïques des Basses-Alpes pour créer un embryon d’Equipes enseignantes, baptisé Les Davidées, en 1913.
Il était quatre petits enfants paraît en 1923.
Neuf romans sur vingt-et-un ont les Pays de Loire pour cadre.

René Bazin est l’auteur de sept recueils de contes et nouvelles dont La fille du sardinier, La légende de sainte Béga, Le contrebandier du paradis qui avaient paru dans La semaine des familles et dans Le Correspondant, et les Contes de Bonne Perrette (1897) pour enfants, Le guide de l’empereur, Mémoires d’une vieille fille, Mademoiselle Gimel dactylographe, Récits du temps de guerre, Le conte du Triolet.
S’y ajoutent onze volumes de notes de voyage dont En Province, 1896, et Paysages et pays d’Anjou (1927), qui témoignent de son goût pour les voyages (Italie, Sicile, Espagne, Turquie, Syrie, Palestine, Tunisie, Angleterre, Corse, Belgique, Hollande, Canada, Etats-Unis, Spitzberg, Algérie). Son œuvre contient les biographies de l’enseigne de vaisseau Paul Henry, de Victor Pavie et de Charles de Foucauld, de Jean-Baptiste de la Salle, Grignon de Montfort et Jean-Marie Vianney réunis tous trois dans Fils de l’Eglise, ainsi que des essais, les préfaces aux Considérations sur la France de Joseph de Maistre (1880), et aux Réflexions sur la Révolution française de Burke (1882).

Le 18 juin 1904 il accédait à l’Académie française au fauteuil d’Ernest Legouvé par 21 voix contre 8 et 7 à ses concurrents. Il y est reçu par Brunetière.
Le 16 août 1900 il est fait chevalier de la Légion d’honneur mais, retardé à cause de son engagement religieux, il devra attendre 1920 pour être promu officier.

Vie de famille
Cette activité littéraire l’oblige à se fixer à Paris, 6 rue Saint-Philippe du Roule. Mais de Pâques à la Toussaint il vit en Anjou aux Rangeardières où sont écrits la plupart de ses ouvrages. La propriété des Rangeardières a été acquise par sa belle-mère Bricard en 1879. Théodore Pavie qui en avait hérité au décès de son père Louis en 1859 l’aurait vendue à un marchand de clous d’Angers en 1878 duquel elle serait passée à Mme Bricard. Louis Pavie l’avait achetée en 1819 à Claude Paruit d’Emery, trésorier payeur de Maine-et-Loire. La mère de René y est décédée d’une crise cardiaque le 30 septembre 1891. Au décès de sa belle-mère, en 1902, les Rangeardières devenaient la propriété de sa fille Geneviève (Mme Tony Catta). Bazin avait fondé en 1910 avec le curé de Saint-Barthélemy une Réunion amicale, dénommée ensuite « Cercle Saint-Paul », « pour réunir, maintenir et fortifier dans la foi et dans la pratique religieuse l’élite des hommes de la Paroisse ». C’est là qu’il a fêté son jubilé de vie littéraire, il a accepté de devenir conseiller municipal à Saint-Barthélemy le 1er avril 1904. Il est mort à Paris le 19 juillet 1932.

René Bazin et Aline Bricard ont eu 8 enfants dont 6 filles (René Ferdinand Nicolas Marie, 11 mai 1877 (marié à Angers le 14 janvier 1901 avec Madeleine Marie Catherine Gain) ; Elisabeth Renée Denise Marie 9 octobre 1879 ; Jeanne Marie Gabrielle Lucie, 16 juin 1881 ; Marie Amélie Lucie Geneviève, 16 février 1883, décédée à Paris le 4 juillet 1970 ; Geneviève Marie Anne Renée, 19 janvier 1886 (mariée le 19 mai 1908 à Antoine Yves Catta et décédée à Saint-Barthélemy d’Anjou le 12 septembre 1962) ; Germaine Marthe Marie, 31 mars 1888 ; Louis Maurice Marie Joseph 28 mars 1892-24 juin 1973 ; Françoise Thérèse Elisabeth Marie, 20 septembre 1895, décédée à Nantes le 8 décembre 1968).
Par ordonnance du président du tribunal civil d’Angers rendue le 27 mai 1921 les enfants étaient autorisés à porter comme nom patronymique René-Bazin au lieu de Bazin.
A son décès René Bazin avait 25 petits-enfants et 5 arrière-petits-enfants.

L’aînée de ses filles, Elisabeth a épousé le 5 janvier 1901 Louis Joseph Antoine Perrin, architecte lyonnais, qui a achevé la construction de Fourvière après son père Marie Louis Jean Perrin. Par jugement du tribunal civil de Lyon du 29 mai 1902, Antoine était autorisé à se faire appeler Sainte-Marie Perrin. Elisabeth Bazin avait été confiée par son père à l’Institution Les Oiseaux entre les mains des chanoinesses de Saint-Augustin qu’elle a suivies dans le sud de l’Angleterre après l’expulsion de la congrégation. Bilingue, elle a fait connaître les poètes anglophones John Keast et Van Dyck. Elle accompagne son père, notamment en Alsace lorsqu’il écrit Les Oberlé. Elle a publié des biographies et des essais de critique littéraire.
Elisabeth est à l’origine de la rencontre et du mariage de sa belle-sœur Reine Sainte-Marie Perrin, avec Paul Claudel (1906).

Bazin apprit la mort brutale d’Elisabeth qui le laissa longtemps désemparé le 13 décembre 1926.
Trois filles de René Bazin furent religieuses.

Le voisinage d’Henry de Castries (1850-1927)
Un possible témoin de Foucauld qui a manqué à Bazin, c’est Henry de Castries
Henry de Castries résidait une partie de l’année au Chillon dans le Louroux Béconnais à une vingtaine de kilomètres au nord ouest d’Angers. Il y a milité jusqu’en 1919, par des manifestations et des écrits contre les lois sur les congrégations et pour soutenir l’université catholique. Alors qu’il est conseiller général et capitaine dans l’armée active en garnison à Ancenis, en 1884 l’autorité militaire, alertée par le préfet, lui demande des comptes pour avoir pris la tête d’une cavalcade pendant une permission pour la réception de Mgr Freppel au Louroux Béconnais. En 1896 Castries a envoyé à Bazin son ouvrage sur L’Islam. Les points communs et les occasions d’échanges entre eux sont donc nombreux. Pourtant leurs relations semblent réduites aux convenances, plus entretenues et souhaitées du côté Bazin que du côté Castries dans les archives familiales duquel on trouve les faire-part de naissance d’enfants Bazin et petits-enfants Catta. Dans une lettre à son épouse, datée du 17 mai 1908, Henry de Castries écrit : « Je me décide à aller mercredi à St Barthélemy au mariage R. Bazin et j’écris à Madame, ne sachant si vous l’avez déjà fait ». Le 20, Henry de Castries écrit : « Je reviens des Rangeardières, où j’ai vu toute la 2e Société d’Angers et entre autres la famille Mauzé au complet. J’ai annoncé votre visite au dispensaire lundi prochain, on a beaucoup de choses à vous dire. […] Je vous conterai les détails de la noce » ; la mère de René Bazin est née Meauzé et une demoiselle Meauzé, dont on n’a pas l’air d’apprécier le concours, est, comme Isabelle de Castries, très engagée dans la Société de secours aux blessés militaires en Anjou. Dans la même lettre Henry de Castries fait une description de René Bazin fort peu sympathique.
L’opinion de Bazin sur son voisin ne l’est pas davantage et d’une grande injustice quand on sait ce qu’Henry de Castries a fait comme chef d’un bureau arabe en Algérie, au Maroc  et pendant la guerre de 1914 pour l’accueil des soldats musulmans : dans un article de la Revue des Deux-Mondes, en 1924, intitulé « Charles de Foucauld et les musulmans » (480-506), Bazin écrit (p. 487) « Je laisse de côté un groupe d’hommes qui déclarent vaine, a priori, toute tentative d’assimilation. Il y a toujours, vous l’avez remarqué, un parti du Rien à faire. Facile à former, facile à soutenir, assuré de la complicité de toute la paresse humaine, prenant nos déceptions pour des arguments, et les délais d’un jour pour une éternité, il met en avant cent raisons, dont aucune n’est bonne, puisqu’il s’agit des hommes, dont il n’est pas permis de désespérer.
Ces pleureurs inutiles étant laissés de côté, je rencontre deux doctrines. » Sur le manuscrit, il a ajouté des noms de « pleureurs inutiles » parmi eux « le Cte de Castries ».

L’un est grand, 1,82 m, l’autre petit. Les caractères sont différents, Castries est un homme d’action engagé sur le terrain qui aime et sait mobiliser les foules. Quand il entreprend ses travaux d’historien du Maroc, « Ma carrière et mes goûts, dit-il, m’avaient plus préparé à l’action qu’à l’érudition et il m’a fallu un long apprentissage pour m’initier aux rigoureuses méthodes de l’école des Chartes ». A l’inverse, dans la minute d’une lettre adressée au Pape le 10 juillet 1915 dans laquelle après avoir relaté la consécration par sa voix à Montmartre des Publicistes chrétiens au Sacré Cœur, Bazin expose son programme, il écrit « j’établirai un programme de revendications catholiques, que je demanderai à tous les membres de la corporation de soutenir, par la plume et par la parole ».
L’ascendance des habitants du Chillon les amènent à fréquenter la noblesse angevine et militaire qui ne se mélange pas à la bourgeoisie des gens de lois et des négociants. C’est ainsi qu’en 1914 il y a deux institutions de la Croix-Rouge à Angers, la Société de secours aux blessés militaires présidée par Isabelle de Castries et l’Union des femmes de France, plus commerçante et politique présidée par Mme Cointreau. Les Castries, fille et gendre de Lamoricière, ministre de la seconde république, amis des Cavaignac, sont républicains. Les Bazin regrettent la monarchie d’ancien Régime. Les Castries sont proches des milieux militaires, ils sont alliés aux grandes familles de toute l’Europe. Bazin, fils d’une veuve, n’a pas été mobilisé et même grand voyageur, est resté attaché à son terroir.

Les deux hommes ont eu de sérieuses discussions, peut-être qu’on devrait dire des accrochages à propos de l’Islam et de la colonisation : remerciant Henry de Castries pour l’envoi de son livre sur l’Islam, Bazin écrit (13 juillet 1896) : « Je suis frappé de la similitude de vos conclusions et de celles d’un officier d’Afrique des plus savants, avec lequel j’ai voyagé en Tunisie cette année, le commandant Rebillet. Ce que vous dites de la légèreté des attaques contre l’Islam, de la pureté assez grande des mœurs, de l’expansion de l’islamisme, de la nécessité d’un accord qui ne serait pas une assimilation, je l’ai entendu dire, en termes moins littéraires, mais avec la même sincérité. Je ferais des réserves, si vous le permettez, sur certains passages, par exemple, sur l’intolérance que vous attribuez au catholicisme. Je suis d’avis contraire, et quand j’aurai le plaisir de vous revoir, je renouvellerai une de ces querelles théologiques que vous décrivez et suivez si bellement. »
A son retour de Tunisie, Bazin s’était cru suffisamment informé pour donner une conférence intitulée « Impressions de voyage en Tunisie », H. Pasquier, recteur de l’Université catholique d’Angers en rendait compte à sa façon à H. de Castries le 21 décembre 1896 : «  Que faut-il penser de cette idée, dit-il, […] : l’arabe pourrait se convertir par des religieuses s’introduisant près des femmes ! L’arabe a l’intelligence amoindrie par des vices contre nature. Il n’y a pas eu de vraie civilisation Arabe ». On devine qu’Henry de Castries, arabophone, fort de plusieurs années vécues dans le bled, d’amitié et d’estime partagée avec des hommes de culture arabe comme Ben Rahal, a été violemment agacé par l’audace d’un Bazin qu’il juge néophyte à discourir sur un tel sujet.

Lorsqu’il rédige sa biographie de Charles de Foucauld Bazin se renseigne soigneusement sur son héros. Il consulte notamment de duc de Fitz-James qui a connu Foucauld à Pont-à-Mousson. C’est un cousin d’Henry de Castries, il a conservé 15 lettres de Foucauld datées de mars 1911 à juillet 1916, il l’a accueilli à Marseille avec un jeune targui, Ouksem, lors de son voyage de 1913. Le 11 avril 1920 il promet à Bazin de lui confier cette correspondance. « J’ajoute, dit-il, que je crois pouvoir vous indiquer un très bon informateur du saint comme de l’explorateur en la personne de mon cousin dont la parenté m’honore grandement, le comte de Castries, lieutenant-colonel en retraite, ancien officier d’Afrique, aussi érudit que documenté sur la question sud-marocaine comme algérienne, on ne peut plus distingué et bon gentilhomme qui a suivi la belle vie de l’explorateur et du religieux dans des contrées qu’il connaît ». Il répond à deux questions de Bazin, l’une sur la vocation de Foucauld, l’autre sur son amour des Arabes.
« Quant à la pensée d’embrasser la religion musulmane avant la nôtre, dit-il, je ne crois pas, rien que le déguisement en juif pour ce voyage si aventuré au Maroc, me fait penser le contraire. A mon humble avis, les mœurs bien plus que l’Islamisme (lui) ont fait aimer les Arabes » ; il ajoute : « Mes parents ont en effet longtemps possédé La Lorie où j’ai passé ma belle jeunesse, et nous avons encore certainement de nombreuses connaissances communes dans le Craonais ».
Manifestement il ignore les relations angevines entre Bazin et Castries, il propose à Bazin de le présenter au Comte de Castries à Paris par l’intermédiaire d’un neveu. Il donne l’adresse parisienne d’Henry de Castries. Dans sa biographie Bazin rapporte la longue lettre que Foucauld a écrite au duc le 11 décembre 1912 dans laquelle il développe ses idées sur l’administration et l’évangélisation des colonies africaines. Mais rien ne montre qu’il ait eu accès aux lettres de Foucauld à Henry de Castries.

Les relations semblent plus cordiales entre les enfants. En 1906 Elisabeth Bazin Sainte-Marie Perrin invitait Jacques de Dampierre à donner une conférence à Lyon à l’Action sociale de la femme. Elle ne promet qu’un auditoire restreint, « 150 personnes à peu près mais composé de femmes jeunes qui cherchent à comprendre la tâche sociale qu’elles peuvent avoir ».

En 1918 Henry de Castries désireux de contribuer au développement du Maroc, et son fils, font des démarches en vue de construire des logements pour européens, à Fez dans une nouvelle ville ; on a la trace d’une lettre à Jacques de Dampierre, d’Antoine Sainte-Marie Perrin, architecte et l’époux d’Elisabeth.

Les Henry de Castries sont très liés aux Lyautey. En 1912 Lyautey était devenu le confrère de Bazin à l’Académie française. En 1919 Lyautey créait le Service historique du Maroc et appelait Castries à le diriger.
Le 10 novembre 1928 le chef des services municipaux de Casablanca écrivait à Lyautey : « Monsieur le Maréchal,
J’ai obtenu quelques mois avant sa mort du Mohasseb fils de Hadj ben Omar El Chergaoui, communication de la lettre adressée par le R. P. de Foucauld à l’ancien Caïd de Boujad.
Il m’a semblé qu’il vous serait agréable d’avoir une reproduction de ce précieux document, que les héritiers de Ben Omar, conservent pieusement. Je prendrais la liberté de joindre une deuxième épreuve.
Elle serait destinée, si vous voulez bien le juger ainsi, à l’historiographe de Charles de Foucauld. M. René Bazin attachera, sans doute, plus de prix à la recevoir des mains de son illustre confrère que de la tenir d’un humble inconnu ».
La photographie jointe de la lettre de Foucauld est celle qu’il a confiée à Henry de Castries dans un courrier qu’il lui envoie daté du 14 janvier 1905 depuis Adrar. Ce n’est pas celle qu’il joint à la lettre à Henry de Castries datée du 4 mars 1905 et publiée par Jacques de Dampierre (Grasset, p. 171). Si Bazin s’étend dans sa biographie sur la rencontre de Foucauld avec Si Edris à Bou-el-Jad relatée par Foucauld dans sa Reconnaissance au Maroc, il a ignoré la correspondance de 1905 passée par Henry de Castries.

Le professeur de Roche du Teilloy (1837-1914)
Une autre rencontre qui n’a pas eu lieu entre Bazin et son modèle concerne Nancy et les Rangeardières.
On sait par ses Lettres à un ami de lycée que Foucauld adolescent nourrissait une grande amitié pour un professeur de lettres du lycée, Alexandre de Roche.

En 1801 Claude Paruit, Payeur des Dépenses de Guerre de la 22e Division Militaire, s’installait à Angers, avec son épouse. Les Paruit ont deux fils, Auguste-Valentin et Henri nés en 1797 et 1798. En 1803 leur naît une fille, Valentine Agathe Laure, baptisée le jour même, son parrain est le préfet Nardon et sa marraine est la belle Laure de Bonneuil, l’épouse de Regnault de Saint-Jean d’Angely, Conseiller d’Etat, en mission d’inspection à Angers. L’officiant est l’évêque Charles Montaut. L’évènement occupe la première page des Affiches d’Angers du 4 août 1803. En 1807 les Paruit achètent une maison de campagne, Les Rangeardières, à Saint-Barthélemy d’Anjou. En 1812 Paruit, nommé Administrateur en chef des Hôpitaux militaires, quitte l’Anjou y laissant femme et enfants aux Rangeardières. En juin 1813, Auguste Valentin, élève du lycée, s’engage dans l’armée, et rejoint son père à Erfurt en 1814, il donne régulièrement des nouvelles à sa mère. Ses lettres, de 1813 à 1815, ont fait l’objet d’une communication à l’Académie de Stanislas à Nancy en 1907-1908, près d’un siècle plus tard, ainsi que d’une édition, par son neveu, le fils de Valentine Agathe Laure. Et ce neveu, c’est Alexandre de Roche, le professeur de lettres (enseignement moderne) du lycée de Nancy. Des relations avaient, semble-t-il, continué d’exister entre la famille de Valentine Paruit et les Bazin des Rangeardières.
Madame Paruit avait vendu les Rangeardières en 1819 et rejoint son mari à Paris puis en Alsace. L’acquéreur, nous l’avons dit, était l’imprimeur Louis Pavie, père de Théodore et Victor, desquels la maison passait en 1879 à la belle-mère de René Bazin et en 1902 à la mort de Mme Bricard à sa fille Geneviève.

La première lettre que nous avons de Charles de Foucauld, préparant Saint-Cyr à Paris, rue des Postes, à Gabriel Tourdes, datée du 21 octobre 1874, se termine par « Bien des choses à Dumont, de Roche, Zeller ». Le 28 août 1877 il écrit : « Je vois aussi de Roche : je lui ai demandé 3 ou 4 heures par semaine : c’est une manière de passer quelques moments agréables sous couleur de faire un peu de latin. » Au décès du Colonel de Morlet il charge son ami de vérifier qu’un ouvrage rare qu’il s’est fait livrer dans l’intention de l’offrir au professeur de Roche est bien conforme à sa commande. De Mascara le 18 février 1882 Foucauld annonce à Tourdes sa démission de l’armée, il termine par « Bien des choses à ce bon Monsieur Zeller et à M. de Roche ». Le 21 mars 1875, à son grand-père, il parle de trois professeurs qu’il se réjouit de visiter à Pâques. De Roche n’est pas l’un d’eux. Alexandre de Roche, membre de la Société d’Archéologie lorraine, est une fréquentation de M. de Morlet. Il anime un cercle de lycéens auquel Charles de Foucauld était assidu. Il n’a jamais été professeur d’une classe de Charles de Foucauld. En 1909 une revue humoristique, Le cri de Nancy, attribue à cet « ancien maître » une bibliothèque de 6000 livres et une précieuse petite chienne. Il s’était fait une réputation à Nancy par des conférences, un enseignement apprécié dans des institutions de jeunes filles, des cours privés aux enfants de la bonne société nancéienne. La sœur de Charles de Foucauld, Marie, prenait des cours avec Alexandre de Roche.

Il accède à la retraite à partir du 1er octobre 1897. Le recteur lui reconnaît « quelque valeur littéraire, il a du goût et connaît bien les langues classiques. Mais il convient peu à l’enseignement moderne et n’a jamais eu de discipline. Très estimé à Nancy ». Pour l’inspecteur d’académie : il « a du savoir, l’esprit orné et délicat ; il se dépense beaucoup dans sa classe ; mais il a la vue très faible, ce qui nuit à son action disciplinaire et à l’efficacité de son enseignement. Excellent homme, très bien posé à Nancy ». Pour le proviseur, il « est très dévoué aux intérêts du lycée auquel il rend de grands services par les nombreuses relations qu’il a à Nancy. Il fait partie du Comité de l’Association des anciens élèves du lycée.

Bazin n’a pas connu les Lettres à Gabriel Tourdes, dont trois n’ont été publiées qu’en 1934 par le Dr Perrin.

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