René Bazin à l’Académie française

Emission de Canal Académie du 28 juin 2009

L’association des Amis de René Bazin, représentée par  Jacques Richou et Aliénor Viot, a été reçue Quai Conti, au siège de Canal Académie,  pour enregistrer,  une première émission  sur René Bazin.

Cette émission, diffusée le 28 juin, d’une trentaine de minutes, comprend les 3 séquences suivantes :

1 – Présentation de la prochaine réédition de l’ouvrage « Les Noëllet » chez Siloë, prévue pour début octobre prochain,

2 – Courte présentation de René Bazin : son oeuvre, les principaux thèmes de ses livres et ses grandes idées…,

3 – Lecture de quelques pages choisies, les plus significatives du livre des Noëllet.

Vous pourrez consulter le site de Canal Académie,  pour visionner et écouter l’intégralité de cette émission.

Mais, d’ores et déjà, nous mettons en ligne dans la rubrique « Belles pages » quelques extraits des Noellet qui seront lus par un comédien professionnel sur le site de l’Institut.

Présentation de Henri Viot et sa famille lors de l’AG du 12 octobre 2008

Nous parlerons de l’élection de René Bazin à l’Académie française .
Pourquoi s’est-il présenté ?
Les conditions de son élection
Les réactions de la presse
Le contexte historique.
En ce qui concerne ses relations avec ses confrères de l’Académie. Il faut consulter le fond d’archives entreposé à Angers (45 cartons contenant 12270 documents dont la correspondance et les carnets de voyages de 1890-1930). Avis aux amateurs….

En 1893, René Bazin a 40 ans, Ludovic Halévy prédisait «  Dans 10 ans vous serez à l’Académie »

Le 12 mars 1896, l’Académie française décerna à René Bazin le prix Vitet pour l’ensemble de son œuvre .

Œuvres de René Bazin :

1884 : Stéphanette
1885 : Ma tante Giron
1888 : Une tache d’encre
1890 : Les Noellet
1891 : A l’aventure
1891 : Contes en vers
1892 : La sarcelle Bleue
1892 : La légende de sainte Béga
1893 : Madame Corentine
1893 : Sicile
1894 : Les Italiens d’aujourd’hui
1894 : Humble amour
1895 : Terre d’Espagne
1896 : En province

Puis après ce prix, il publie :
1897 : Les contes de bonne Perrette
1897 : De toute son âme
1898 : La terre qui meurt
1898 : Histoire de vingt-quatre sonnettes
1899 : Les personnages de roman
1899 : Croquis de France et de l’Orient

Tony Catta écrit à ce propos dans « Un romancier de la vraie France : René Bazin »

« L’Académie française fut peut-être la seule ambition humaine de la vie de René Bazin. N’y voyons pas une faiblesse. La littérature était pour lui plus encore qu’une profession digne de remplir toute la vie : une sorte de fonction sociale à laquelle l’Académie mettrait une ampleur plus grande.

Encouragé par ses amis parisiens, il posa pour la première fois sa candidature le 18 mai 1899, au fauteuil laissé vacant par la mort du journaliste Edouard Hervé, l’ancien directeur du Soleil. Il eut deux concurrents, Paul Deschanel et Emile Faguet ; Deschanel fut élu au second tour. »

Séance du 18 mai 1899 au fauteuil de M. Hervé. ( René Bazin a 46 ans )
Votants : 36
Majorité : 19
2 tours de scrutin

Répartition des voix :
M.M                      1 er T      2 em T
Paul Deschanel : 16 20 élu
Faguet : 9 6
René Bazin : 9 10
Monsieur Paul Deschanel est élu

L’année 1898-1899 est donc décisive ; il publie : La terre qui meurt dont chacun s’accorde à penser que cet ouvrage lui ouvrira les portes de l’Académie.

Tiré de «  René Bazin : L’homme et l’écrivain. »  Mgr Francis Vincent écrit :

« A la date ou nous sommes, 1898-1899, pendant qu’il écrit La terre qui meurt, René Bazin s’impose de fréquenter plus assidûment que par le passé les salons littéraires de Paris, en vue d’une prochaine candidature à l’Académie. Cette candidature, Brunetière et des amis sûrs la lui conseillent, ne fût-ce que pour explorer le terrain, le déblayer aussi et mettre au passé ce premier échec qui est, sinon tout à fait de rigueur, au moins de tradition bien assise, car, on l’a remarqué malicieusement, les candidats à l’Académie ne passent d’ordinaire qu’à la session d’octobre. Assez fréquemment donc l’écrivain s’absente maintenant de son cher Anjou pour paraître à des réunions parisiennes du monde des lettres et du monde tout court, où il se rencontre avec des amis influents, parfois des rivaux, notamment Emile Faguet, qu’il va trouver devant lui à deux reprises, et dont il trace en passant ce menu croquis : « Emile Faguet :gros cheveux, tête épaisse, yeux petits, vifs et fins, façons de Balzac et qui me dit être né en Vendée et avoir professé à La Rochelle »

Tony Catta continue :

« Le 15 février 1900, il tentait à nouveau sa chance, sur le fauteuil de Pailleron. Faguet restait son concurrent et un autre avait surgi : Porto-Riche. Faguet fut élu au second tour par 18 voix ; Bazin venait ensuite avec 11 voix, et Porto-Riche avec 4.La politique s’était mêlée de l’élection. Au témoignage de deux journaux de tendances contraires, le Figaro et le Radical, c’étaient les «  voix républicaines »qui s’étaient comptées au premier tour sur le nom de Porto-Riche et qui s’étaient reportées ensuite sur le bon Faguet, afin de faire échec »au candidat de la droite, clérical, ami des croix » Les événements attisaient alors très violemment les passions politiques. La vague de fond de l’affaire Dreyfus était loin d’être apaisée, et il s’en formait d’autres dont les houles apparaissaient déjà : l’expulsion des Congrégations, la Loi de séparation. René Bazin se trouvait classé dans »le camp nationaliste » et considéré, à juste titre, comme un catholique militant. Proposé pour la Légion d’honneur en 1898, sous le Ministre Méline, il s’était vu écarté. L’erreur ministérielle se trouva réparée quelques mois plus tard, après Les Oberlé. »

De son côté Mgr Francis Vincent raconte :

« Moins d’un an, en effet, après son premier échec, le 15 février 1900, contrairement aux usages qui conseillent un plus long délai, Bazin, sous la pression de l’opinion, renouvela sa candidature. Il se trouvait d’ailleurs en présence d’Emile Faguet, auquel s’était ajouté un auteur dramatique, George de Porto-Riche, favori de ce qu’on appelait la gauche de l’Académie. Si l’élection avait été faite au suffrage universel, l’auteur de La terre qui meurt l’eût emporté de très loin. Mais Faguet, qui s’était fait une grande place dans la critique, en avait en très forte aussi dans le monde académique. Des positions avaient été prises et des promesses faites. Il fut élu au second tour par dix-huit voix contre onze à René Bazin. »

Séance du 15 février 1900 au fauteuil de M. Cherbuliez ( René Bazin a 47 ans )

Votants : 33
Majorité : 17
2 tours de scrutin

Répartition des voix :
M.M 1 er T 2 em T
René Bazin : 10 11
Faguet : 14 18 élu
De Porto Riche ; 9 4

Monsieur Faguet est élu

En 1902 : Les Oberlé est publié, énorme succès. Plus de 400 000 exemplaires, édités jusqu’en 1930.

Nouvelles parutions :
1901 : Le guide de l’Empereur
1902 : Les Oberlé
1902 : L’enseigne de vaisseau Paul Henry
1903 : Donatienne

Ecoutons de nouveau Tony Catta :

« Retardée, nous l’avons vu, par des querelles politiques, cette élection eue lieu le 18 juin 1903, cette fois sans difficulté. Il recueillit vingt et une voix au troisième tour, contre huit à Ghebart, sept à Larroumet, sur le fauteuil d’Ernest Legouvé »

Séance du 18 juin 1903 au fauteuil de M.Ernest Legouvé ( René Bazin a 50 ans )

Votants : 36
Majorité : 19
3 tours de scrutin

Répartition des voix :
M.M 1 er T 2 em T 3 em T

René Bazin : 12 16 21 élu
Gebhart : 11 10 7
Lanoumet : 10 10 8
J Breton : 3

Monsieur René Bazin est élu

René Bazin est donc élu le 18 juin 1903 et est venu prendre séance le 28 avril 1904 au fauteuil n° xxx

Les membres de l’Académie française le 18 juin 1903.
1 : Charles de FREYCINET élu en 1890
2 : André THEURIET élu en 1896
3 : Emile FAGUET élu en 1900
4 : José-Maria de HEREDIA élu en 1894
5 : Edmond ROUSSE élu en 1880
6 : Ernest LAVISSE élu en 1892
7 : Emile OLLIVIER élu en 1870
8 : Albert de MUN élu en 1897
9 : Victorien SARDOU élu en 1877
10 : François COPPEE élu en 1884
11 : Albert VANDAL élu en 1896
12 : Paul HERVIEU élu 1900
13 : Pierre LOTI élu en 1891
14 : Henry HOUSSAYE élu en 1894
15 : Henri LAVEDAN élu en 1898
16 : Edme-Armand-Gaston d’AUDIFFRET-PASQUIER élu en 1878
17 : Frédéric MASSON élu en 1903
18 : Melchior de VOGUE élu en 1901
19 : Paul DESCHANEL élu en 1899
20 : Jules LEMAITRE élu en 1895
21 : Eugène GUILLAUME élu en 1898
22 : Ludovic HALEVY élu en 1884
23 : Alfred MEZIERES élu en 1874
24 : Armand PRUDHOMME élu en 1881
25 : Albert SOREL élu en 1894
26 : Gaston BOISSIER élu en 1876

27 : Paul-Gabriel d’HAUSSONVILLE élu en 1888

28 : Ferdinand BRUNETIERE élu en 1893
29 : Gabriel HANOTAUX élu en 1897
30 : René BAZIN élu en 1903
31 : Edmond ROSTAND élu en 1901
32 : Charles COSTA de BEAUREGARD élu en 1896
33 : Paul BOURGET élu en 1894
34 : Octave GREARD élu en 1886
35 : Jules CLARETIE élu en 1888
36 : Adolphe PERRAUD élu en 1882
37 : Paul THUREAU-DANGIN élu en 1893
38 : Anatole France élu en 1896
39 : Eugène-Melchior de VOGUE élu en 1888
40 : Marcellin BERTHELOT élu en 1900

Tony Catta commente :

« Le nouvel académicien ne trouvait pas, dans l’éloge qu’il devait prononcer de son prédécesseur, une matière qui fût particulièrement dans sa manière. L’œuvre d’Ernest Legouvé se projetait comme l’ombre d’une longue muraille grise sur une vie d’une extraordinaire longévité d’où la poésie paraissait absente. Mais derrière l’œuvre, il y avait l’homme : un français, exemplaire de ces »vertus bourgeoises », éléments essentiels de ce que nous valons comme nation. Bazin put, sans effort, tracer de cet honnête auteur et de ce brave homme, un portrait ou se retrouvent certains caractères permanents de la famille française.

Cette élection à l’Académie française fut un événement très important dans la vie de René Bazin.

Ce n’était pas pour lui, question de vanité. «  Eh ! non, écrira-t-il dans ses notes intimes, vers la fin de sa vie  l’Académie peut flatter mais elle est bien autre chose : une puissance pour l’idéal et donc pour le bien. Nous représentons d’autres hommes, une France vraie, une foi qui sont honorées en nous, avec nous » Qu’on ne s’étonne donc pas de l’importance qu’il attachait au titre d’Académicien. Ce sentiment allait imprimer à son œuvre et même, dans une certaine mesure, à son existence, une orientation sinon tout à fait nouvelle, du moins plus marquée, dans un sens de plus en plus tourné vers l’intérêt général. Il considérera comme un devoir d’assister aux séances de l’Académie et de prendre une part effective à ses travaux. Les séances de la Commission du Dictionnaire n’auront guère de membre plus assidu que lui. Il s’efforcera d’y exercer son influence dans le sens de la tradition la plus éclairée. Il n’avait ni l’engouement ni l’horreur du néologisme. »Je ne vais pas, écrivait-il, par inclination à ce qui est ancien. Quand le présent est beau, par exemple quelquefois en art, je le préfère »

Extrait de René Bazin par Jean BRUCHESI :

Et, le 28 avril 1904, l’ancien professeur de droit aux Facultés catholiques de l’Ouest, le petit-fils d’un conseiller secret de Louis XVI dont les hôtes de René Bazin, à Paris, pouvaient admirer le gros portefeuille de maroquin rouge aux lettres d’or, venait occuper, à l’Académie française, le XXXeme fauteuil laissé vacant par la mort d’Ernest Legouvé. Tout Bazin délicat, poli, spirituel, mais aussi tout le croyant, épris de beauté et d’idéal, se retrouve dans les remerciements que le nouvel élu adressait à ses collègues de l’Académie et dans l’éloge qu’il faisait, suivant la coutume, de son prédécesseur, «  ce charmant Légouvé » Et Ferdinand Brunetière, accueillant René Bazin dont la brillante carrière, disait-il, avait commencé en pleine bataille naturaliste, soulignant la « veine de tendresse et d’humanité » de l’œuvre du romancier, lui disait : « Qui’ ils sont vrais vos paysans ! » Personne, dans le brillant auditoire, au premier rang duquel se trouvait la souriante et digne épouse de l’écrivain, mère de huit enfants, n’aurait su contredire le témoignage rendu par le secrétaire perpétuel de l’Académie à la simplicité, à la loyauté, à la probité du maître du roman social. « Vous êtes peintre et vous êtes poète, proclamait Brunetière. Vous resterez peintre et poète. »

La séance du 28 avril 1904 fut mémorable, elle est présidée par M.Ferdinand Brunetière, qu’assistait M. Gaston Boissier secrétaire perpétuel. René Bazin avait à ses cotés ses 2 parrains : M.M Albert Vandal et Albert de Vogüé.

René Bazin était le plus jeune grand-père de l’Académie française. ( son fils aîné avait 2 enfants ).

Voici ce qu’en a rapporté la presse :

Tiré de La Gazette de France (30/04/1904)

René Bazin a donc parlé de son prédécesseur M. Legouvé ( mort presque centenaire).  n’avait presque rien à dire sur son œuvre et parla plutôt sur son logis parisien et de sa maison à la campagne et il narra l’aventure de son mariage ( bourgeois parisien).Ce vieillard, assistant étonné aux évènements ne reconnaissait pas dans l’anarchisme qui l’effrayait la conséquence naturelle de son libéralisme décent et collet monté et laissant échapper ce mot « je ne comprends plus » C’était pourtant facile à comprendre et l’histoire retiendra peut-être cette naïveté de vieillard.

Tiré du « Petit Journal »

Jamais la gravité de la coupole de l’Institut de France n’avait été plus égayée par les élégantes mondaines et printanières qu’a l’occasion de la solennité d’hier : L’Académie française recevait M. René Bazin, élu à la place vacante par la mort de M. Ernest Legouvé et les amateurs de beaux discours ne voulaient pas manquer cette fête littéraire.

Les cartes d’entrée avaient été fort recherchées et, dès minuit, des gens montaient une faction sur les marches de l’Institut, postés là par des invités prudents qui voulaient être surs d’être placés à la grande séance fixée à 2 h de l’après-midi……..M. René Bazin un peu ému, mais portant bien son habit vert d’académicien s’était levé. D’une voix claire un peu chantante, le récipiendaire a fait l’éloge de son prédécesseur…..

GIL BLAS, 29 avril 1904

A l’Académie française Réception de M. René Bazin

Il faut rendre à M. Bazin cette justice ; il a eu une réception très brillante, et je conviens que l’éclat des discours de M. Ferdinand Brunetière n’aura pas été sans retrouver la naturelle « distinction » du récipiendaire….

M. Bazin était si peu connu ! C’est de sa personne que je parle, car pour ce qui est de sa littérature, elle est assez justement célèbre.

La salle était donc charmante, attentive, curieuse. On sentait que les académiciens eux-mêmes allaient écouter. François Coppé est heureux et fier.

Frédéric Masson, encore un peu dépaysé, peut-être craintif. M de Vogüé et Albert Vandal sont ravis de voir leur filleul de bonne mine et de bonne allure, modeste et sûr de soi. M.M.Jules Claretie, Albert Sorel, Mezières écoutent et réfléchissent ; M.Faguet n’est pas mécontent, et M. Hanoteaux approuve ; M.Gaston Boissier sourit et l’on pressent tout ce que M. Paul Hervieu admirera chez M. Brunetière.

Du côté des dames, nous sommes au complet et même un peu au-delà ; Mme Loubet préside avec bienveillance, la Comtesse d’Haussonville, la Comtesse de Mun ne dissimulent pas leur jubilation ; Mme de Nelidoff est très entourée. Les toilettes rayonnent, les chapeaux approuvent ; et je m’empresse de noter ce qui vraiment donnait un petit cachet d’originalité à cette solennité magnifique : La présence du « Tout-Angers . Que de gens étaient là, aussi inconnu que M.Bazin lui-même. On a même murmuré que Mme la préfète d’Angers était présente, mais je n’en crois rien. J’ai plutôt remarqué des prêtres, des collègues évidemment !

M.Bazin commence sa lecture : on cherche à l’entendre, à le voir, à prendre sa mesure. Il est « distingué » oh oui ! pas tout à fait autant que M.Deschanel mais dans le même goût, un peu saint-cyrien, très jeune et si pareil à photographie. Il ne lit pas mal, mais tout de même un peu faiblement pour quelqu’un qui parle d’Ernest Legouvé et à qui répondra à M. Brunetière…

JOURNAL DES DEBATS du 30 avril 1904

A l’Académie française

« Hier, les abords de l’Institut étaient noirs de monde bien avant l’ouverture des portes, et rarement nous avons vu pareille affluence à l’Académie. L’attente et la sympathie des auditeurs et des auditrices venus pour applaudir les deux orateurs n’ont pas été déçues cette fois, par les deux discours.

Le succès personnel de M.René Bazin a été très vif ; j’en ai recueilli les échos autour de moi…

Il a en effet débité son discours sans aucun artifice oratoire, d’une voix claire, modeste et simple qui avait toutes les grâces du naturel et tout le sérieux du respect…

Après le discours de M.René Bazin, qui a mérité et récolté des applaudissements unanimes, M.Ferdinand BRUNETIERE a pris la parole…

LE TEMPS du 29 avril 1904

A l’Académie française

M. René Bazin et sa province

On connaît peu M.René Bazin. On sait seulement qu’il professe quelque part en province, et ne fréquente pas le boulevard.

Il habite, pendant les courtes semaines de son passage à Paris, un entresol voisin du Trocadéro. Je l’y ai rencontré hier ; et il m’a dit :

-« je ne suis pas , en effet, un homme de Paris. J’ai deux logis : un à Angers qui est la maison familiale ou je n’ai cessé de vivre jusqu’ici ; l’autre à 3kms d’Angers, qui est une maison de campagne ou je vis le meilleurs de mes journées de travail. Je compte bientôt m’y installer complètement.

Et Paris ?

Paris, c’est l’accident, et jusqu’à mon élection je n’y séjournai que peu de temps, chez mon fils. Je dois cependant changer tout cela : je renoncerai à ma maison de la ville, je prendrai à Paris un petit pied à terre puisque l’Académie va m’obliger à rester ici plus fréquemment et je ferai de ma demeure des champs mon domicile régulier…

Elle est propice au romancier solitaire. Or je ne comprends pas le travail hâtif, et l’agitation des villes ne m’est pas favorable »

M.René Bazin à l’allure que nous prêtons invariablement à l’officier de cavalerie, mais il semble un cavalier qui aurait beaucoup de distinction et un peu de timidité. Il enseigne toujours le droit à l’Université d’Angers et n’a rien d’un professeur austère ; il est d’un abord discret et réservé, il s’exprime avec douceur et tranquillité.

« Je ne suis certes pas, m’a-t-il dit, un optimiste farouche, et je crois que la somme du bien doit équilibrer celle du mal. J’ai certes, rencontré des ennemis et des envieux ; j’y ai rencontré aussi des protecteurs bienveillants et des critiques sincères. Un jour, un directeur de journal lit un de mes volumes, essai d’un commençant, « ma Tante Giron » ; il m’écrit, me demande ma collaboration. Et voilà comment j’ai débuté ; c’est très banal… »

D’après le journal « Le Gaulois » du vendredi 8 juillet 1904 :

L’Académie française a tenu séance hier pour travailler au dictionnaire de l’usage. M. Ludovic Halévy remplissait les fonctions de chancelier, qu’il a acceptées pour permettre à M. René Bazin, qui jusqu’ici habitait soit Angers soit les Rangeardières à Saint Barthélémy, tout près d’Angers, de procéder à son déménagement et son installation dans Paris , la grand’ville. Car là est tout le secret de cette nomination qui, d’ordinaire est réservée au dernier académicien reçu. M. Bazin a tout simplement prié l’Académie française de vouloir bien lui réserver pour le mois d’octobre les fonctions qu’il aurait été en ce moment dans l’impossibilité de remplir.

La réaction ne se fait pas attendre, en mai 1904 la pièce tirée des Oberlé est interdite

GIL BLAS JUILLET 1904 : INTERDICTION DES OBERLE

Déclaration de M.HARAUCOURT , auteur de la pièce tirée du roman

On se souvient encore du beau roman de M.René Bazin, « les Oberlé », et du succès de librairie qui accueillit ce livre. Il fit connaître à la foule le nom, déjà glorieux chez les lettrés, de M.Bazin, et ne tarda pas à ouvrir les portes de l’Académie à son auteur…L’écrivain présentait cette thèse au plus haut degré passionnante qui intéresse nos cœurs de français ,et nos tristesses de vaincus : « la non-assimilation de l’Alsace par l’Allemagne ».

«Le gouvernement, en vertu de lois existantes, a le droit de m’imposer silence et j’ai cru faire acte de bon citoyen en acceptant, sans protester, les lois de mon pays et leur application. Voilà 2 mois que le sacrifice en est consommé, et je ne saurai rien vous dire de plus »

Autre exemple de son activité à l’Académie : encore Jean Bruchesi :

L’Académie exigeait un surcroît de travail pour cet homme consciencieux car les honneurs sont des charges pour ceux qui les mérites. Il était assidu aux séances de la Commission du Dictionnaire. Il s’intéressait vivement aux prix littéraires et s’acquittait avec prédilection de l’examen des dossiers en vue des fondations familiales et de l’attribution des prix de vertu. Le 27 novembre 1913, il prononça le Discours sur les prix de vertu ; celui-ci forme, selon un témoin, Tony Catta, le plus beau morceau d’éloquence qui se puisse trouver dans son œuvre.

Tiré de la revue : Le sel de la terre :

« Le plus beau morceau d’éloquence, mais peut-être le plus bel acte de foi et de courage réalisé sous la coupole de l’Institut, qui lui valurent le très grand honneur et le rare mérite de faire applaudire le nom de Jésus-Christ. Saluant ces héros et ces héroïnes de vertu que l’Académie récompensait, il fit entendre ces mémorables paroles : Ces âmes d’élite sont l’affirmation la plus extraordinaire de la force de la volonté et de la noblesse ouverte à laquelle chacun est appelé. Certes, les dévouements dont on meurt tout d’un coup sont dignes d’admiration. Mais leur brièveté même rend les plus grands sacrifices plus faciles, tandis que cette dépense quotidienne, sou par sou, de l’énergie humaine, sans applaudissements, ni clairons, ni croix d’honneur, ni compagnons qui peinent de même : voilà, je crois le plus sublime… Ces âmes sont annonciatrices. Elles indiquent le sens de l’éducation qu’il faut donner au pays. Où elles ont puisé ,là est la source de la vie, de la grandeur, de la paix véritable, l’intérieure, celle des esprits et des cœurs, infiniment supérieure à l’autre. Ces âmes différentes et unes cependant. Qu’elles le veuillent où non, qu’elles le sachent ou qu’elles l’ignorent, toutes, elles ont cessé d’appartenir au monde antique, elles ont respiré l’atmosphère de ce pays sanctifié, elles ont subi l’influence du baptême de la France. A travers chacune de ces âmes, je vois transparaître une image, nette ou effacée, toujours reconnaissable, celle du maître qui apporta à la terre la charité, de l’ami des pauvres, du consolateur des souffrants, de celui qui a passé en faisant le bien et qu’avec des millions de vivants et des milliards de morts, j’ai la joie de nommer : Notre-Seigneur Jésus-Christ »

Quand le grand nom fut prononcé, l’auditoire fut transporté. Ce fut certainement l’un des plus grands triomphes qui aient été vus sous la coupole au cours d’une génération d’hommes. On battait des mains, on acclamait, une grande partie de la salle était debout. Quelques personnages officiels, les plus grands de l’Etat, assis au premier rang ne bronchaient pas. Mais à côté, leurs femmes applaudissaient.

Ce discours retentit même jusqu’à Rome puisque Pie X, « ce pape du plus bienfaisant génie » chargea son secrétaire d’Etat de féliciter l’orateur. »

Encore sur son activité à l’Académie :

René Bazin refusa également la qualité de directeur de l’Académie française car il aurait eu, en cette qualité, à prononcer l’éloge de Renan à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Frédéric Masson lui avait dit : « Il faut que Renan soit loué sans restriction » René Bazin exprima son refus en ces termes :

« Tel je suis et je veux être, je ne saurais composer un discours à la liberté restreinte, où je tairais le mal qui fit et que continue de faire une œuvre pénétrée de la plus constante impiété. Vous m’estimeriez peu, et vous auriez raison, si j’acceptais de parler dans ces conditions. »

Le conseil d’administration de la Société des gens de lettres réclama que le grade d’officier de la légion d’honneur fût accordé à René Bazin. Monsieur Barthou, du Conseil des ministres, refusa au motif que l’auteur de romans catholiques, et notamment de Davidée Birot, s’inscrivait en adversaire de la laïcité et ne pouvait recevoir une telle distinction. Il ne l’a reçu qu’après la guerre, mais le grade de commandeur lui fut toujours refusé.

Nous terminons ce portrait de René Bazin académicien ( mort le 20 juillet 1932) par l’allocution funèbre prononcée par M. Maurice Paléologue ( Directeur de l’Académie)

« Messieurs,

En ouvrant cette séance, j’ai un douloureux devoir à remplir : notre confère, M.René Bazin, a succombé hier à une longue et cruelle maladie.

L’heure n’est pas venue de dire tout ce que notre compagnie vient de perdre en ce parfait écrivain, ce romancier délicat, ce penseur idéaliste et pénétrant qui a si fortement senti la poésie de la terre française, les mystérieuse et profondes vertus que notre atavisme national a comme infusées dans le sol français.

Aujourd’hui, c’est un simple adieu, c’est le témoignage de notre personnelle affliction que j’exprime devant vous.

Je me borne donc à vous rapporter la finesse de son esprit, le charme et la droiture de son caractère, la bonne grâce de son accueil, mais aussi la force morale et l’éloquente fermeté qui se dégageaient de ses paroles,, dès qu’une question grave se posait dans nos délibérations.

Enfin, comment ne rendrais-je pas hommage au tranquille héroïsme qu’il a déployé durant ces derniers mois, alors que nul espoir de guérison ne lui était plus permis ?

Aujourd’hui les inébranlables certitudes qui l’animaient, les radieuses clartés qu’il apercevait déjà devant lui, toute sa foi chrétienne si intégrale, si ardente lui étaient d’un réconfort puissant. Mais vous savez combien cette épreuve dernière lui était rendue particulièrement cruelle par une autre épreuve qui le touchait dans les fibres les plus tendres de son cœur.

Voilà, en quelques traits l’image que nous garderons intimement du cher confrère qui nous laisse un si bel exemple de conscience et de travail, de patriotisme et de vertu. »