René Bazin, un écrivain à redécouvrir
Né en 1853, René Bazin vient d’une famille de juristes et de chefs d’entreprise : après des études à Angers, au collège Montgazon, puis trois ans à Paris, comme étudiant, il revient en Anjou, et sera le premier docteur en droit de la nouvelle université catholique, fondée par Mgr Freppel. Peu après, il se marie avec Aline Bricard, dont il aura huit enfants. Il sera professeur de droit pendant 43 ans. Très tôt, il se lance dans le journalisme : l’Illustration, le Figaro, et la Revue des deux mondes. En 1903, il est élu à l’Académie française et va alors partager sa vie entre l’Anjou et Paris. Correspondant des récits de guerre pendant les années 14-18, il partage profondément les épreuves du pays, témoignant de son patriotisme le plus élevé. De 1915 à 1923, il préside la Corporation professionnelle des publicistes chrétiens, incluant alors écrivains et journalistes. Il meurt le 20 juillet 1932, à Paris.
Une œuvre littéraire aux multiples facettes
On n’évoque trop souvent que ses romans, alors que ces derniers représentent moins du tiers de ses livres. Son œuvre est beaucoup plus variée et ouverte.
- Les contes et récits de jeunesse : ils ont souvent été publiés, sous forme de feuilletons à épisodes, dans les journaux de l’époque ; ils se mêlent parfois avec ses premiers romans ou ses livres de nouvelles. Citons-en seulement quelques-uns : Stéphanette
(1884), Contes en vers (1891), Histoire de XXIV Sonnettes (1893),
Contes de Bonne Perrette (1898), Il était quatre petits enfants (1922).
- Les récits de voyage : habituellement œuvres de commande, avant son entrée à l’Académie, ces récits sont souvent méconnus… Pourtant, on y découvre l’homme de relations humaines : des voyages d’abord en France (En province, 1896) puis en Europe – Italie, Espagne, Portugal -, puis au Moyen-Orient, en participant à une visite officielle de Guillaume II, un Prussien de triste mémoire ; puis au Canada et au Spitzberg ; ou encore en Algérie, pour la biographie de Charles de Foucauld.
- Les romans : une vingtaine, de type très varié :
- Des romans paysans, le plus connu étant sans doute : la Terre qui meurt (1899), livre qui évoque le drame de l’exode rural dans le marais vendéen. Ce livre a connu un très grand succès en France et à l’étranger et fut ensuite adapté en films.
- Les romans ouvriers, qui constituent aussi un thème de prédilection pour René Bazin. Gingolph l’abandonné (1914) ou le Roi des archers (1929) décrivent les conditions sociales dramatiques des employés de la marine marchande et des tisserands du Nord.
- Les romans patriotiques, enfin : le plus connu est bien sûr, les Oberlé (1901) qui va ouvrir à René Bazin les portes de l’Académie française, avec un immense succès (400 000 exemplaires).
- Les biographies : elles aussi sont souvent méconnues et pourtant d’une réelle valeur historique. Je cite Victor Pavie, Ferdinand-Jacques Hervé Bazin, l’Enseigne de vaisseau Paul Henry, puis le Duc de Nemours (1905), qui est un plaidoyer pour une cohésion des légitimistes et orléanistes ; je cite encore Davidée Birot (1912), et surtout une biographie très actuelle, celle de Charles de Foucauld en 1921, et enfin Pie X (1928).
- Les nouvelles ne sont pas à confondre avec les contes de jeunesse ou articles de presse. La nouvelle est un récit court, de faits ou d’aventures, plutôt réaliste, pris sur le vif ou humoristique ; récit toujours centré sur les relations humaines. René Bazin est l’auteur d’environ 120 nouvelles, réparties dans une quinzaine de livres. Les plus connus sont Humble amour, le Mariage de Mlle Gimel, Mémoires d’une vieille fille, les Trois peines d’un rossignol.
- Les essais. Il s’agit d’études, à caractère politique, social et spirituel. En voici quelques exemples : Récits de la plaine et de la montagne, Questions littéraires et sociales, Récits du temps de la guerre, Aujourd’hui et demain, pensées du temps de la guerre, la Campagne française et la Guerre. Il s’agit bien de documents intéressants au titre de l’histoire locale et sociale du moment.
- Autobiographie. C’est le livre posthume Étapes de ma vie, publié quatre ans après sa mort et rédigé à partir de ses carnets personnels.
L’académicien, témoin de son temps
Héritier des courants classiques, il écrit à l’époque des naturalistes. Successeur de Balzac et de Flaubert, René Bazin admire Chateaubriand. Il écrit dans un style simple, structuré et précis, non recherché ni maniériste. Intensément descriptif, trop même parfois pour certains, il est d’une correction absolue. En 2009, préfaçant la réédition du livre les Noëllet (1890), le cardinal Poupard, président
émérite du Conseil pontifical de la culture, parlait ainsi de René Bazin : « […] reste le talent du romancier – il est immense ! » Immense car en bon juriste, c’est un observateur minutieux, souvent avec humour.
Rompu aux techniques du reportage comme journaliste, cet auteur est aussi un maître du portrait. Il dépasse la seule apparence corporelle des êtres auxquels s’en tenaient les naturalistes, comme Zola ; il s’attache à faire transparaître toutes les dimensions de l’homme : corps, esprit et âme. Pierre de Nolhac, lors de la parution du roman l’Isolée (1905), traitant de la loi sur la laïcité, lui écrit :
« Vous avez mêlé un drame psychologique et un drame social. Vous avez su le peindre avec l’intelligence, la tendresse et la force qu’il y
fallait. » L’auteur maîtrise les scénarios et les intrigues. Au-delà du juriste, l’homme a aussi du cœur.
Il convient aussi d’insister sur le paysagiste, fin connaisseur des beautés de la nature. Il écrit dans sa maison de Saint- Barthélémy, près d’Angers, en pleine campagne à l’époque. Il décrit avec soin la vie locale : le monde rural et industriel, les patrons et les ouvriers. On a dit de lui qu’il avait des qualités de peintre : la finesse des paysages et des êtres lui a valu cette magnifique comparaison de Mauriac – qui occupera son XXXe fauteuil de l’Académie – : « René Bazin est le Fra Angelico des lettres ».
L’écrivain voyageur est aussi un écrivain des sciences sociales, à l’écoute des autres, avec gaieté et humour. René Bazin est ouvert, dans ses rencontres avec les populations locales : rien d’un homme emprunté et engoncé dans sa notoriété d’académicien… Tout au contraire, il témoigne dans ses écrits d’une grande simplicité. Il s’efface derrière ses personnages, parfois hauts en couleur, et il les fait parler. En voici deux exemples : dans le livre le Mariage de Mademoiselle Gimel (1909), il décrit un vieux zouave, résident d’une maison de retraite tenue par les Petites Sœurs des Pauvres à Angers. Humilié d’être commandé par les sœurs, et loin de toute pratique religieuse, il se laisse apprivoiser peu à peu, et un jour, pour remercier d’un service rendu, il s’écrie :
« Ma sœur, ça, c’est de la religion, et de la bonne. Moi qui ai beaucoup voyagé, je m’y connais, vous pouvez me croire […] ». L’écrivain réserve ses critiques aux prétentieux, aux snobs, aux pseudo-intellectuels qui croient tout savoir. Voici le portrait d’un cadre administratif présenté dans son roman Stéphanette : « Maître Furondeau était empressé avec les grands et pressé avec les petits, plein de bonhomie et d’insensibilité, habile à se contredire, prôneur de toutes les tolérances et partisan convaincu de tous les régimes politiques dont il s’était également servi ». Il fustige le vernis social superficiel, met en valeur la noblesse de cœur, l’enfant de la terre, l’humilité joyeuse et franciscaine qui s’émerveille de la Création.
René Bazin décrit avec précision le drame du déracinement de son époque : désertification rurale, urbanisation. Les personnages de ses romans ou nouvelles sont confrontés à la rupture, pour le meilleur – rupture avec le monde dans De toute son
âme ou dans Magnificat – ou pour le pire, dans Madame Corentine ou Donatienne. Ce que souligne encore Albert de Mun, écrivant à propos de la Terre qui meurt : « Ce livre complète parfaitement, par l’étude de la grande plaie rurale, celle de la misère ouvrière. » Cet homme d’ordre, catholique et monarchiste de tradition, nous met en garde contre la corruption des villes et la perte des repères.
Témoin de son temps, René Bazin l’a été profondément pendant les quatre années de la Grande Guerre. Écoutons-le dans l’avant-propos de son livre Récits du temps de la guerre (1915) : « La publication de ces récits, c’est un peu ma part de guerre. Ne pouvant me battre parmi les soldats, j’ai tâché du moins, de soutenir les courages, de célébrer les actes d’héroïsme et la foi de nos armées, et de montrer la force d’une France unanime. » On peut dénombrer une quinzaine de livres qui abordent la question de la guerre. Le 3 août 1914, alors que l’Allemagne déclare la guerre à la France, les deux fils et les trois gendres de l’académicien, alors âgé alors de 61 ans, sont mobilisés. Il s’engage à fond dans « un combat littéraire » et multiplie les articles.
En relisant les ouvrages évoqués ci-dessus, on peut mesurer l’intensité de l’attachement de l’académicien à son pays, à la terre des pères, à la Douce France (1911), titre d’un essai dans lequel il écrivait : « Il est nécessaire aujourd’hui de montrer aux Français pourquoi nous devons aimer la France et ne jamais désespérer d’elle […] La France est appelée douce à cause de sa courtoisie, de sa finesse et de son cœur joyeux […] Mais la Douceur est armée pour la justice et pour la paix. »
Ces lignes ne cessent d’étonner par la justesse de leur discernement. Voilà un écrivain engagé, à sa manière, tout en mesure, loin du ton délibérément outré de certains polémistes de son époque. Ainsi René Bazin est bien un authentique témoin de son temps. Si certains disent son œuvre datée, force est de constater au contraire la réalité de sa dimension humaine et documentaire, qui justifie aujourd’hui pleinement sa relecture.
Jacques Richou 1
1 Officier général, arrière-petit-fils de l’auteur, fondateur de l’Association des amis de René Bazin.