Par Brigitte Catta – de baudus – assemblée générale du 28 janvier 2012
Qu’est ce qu’un Académicien ?
Cette question a été étudiée par Hélène Carrère d’Encausse dans son étude (éditions Fayard, Novembre 2011) : « Des siècles d’immortalité : l’Académie française, 1635… », Et son étude historique laisse place à la question moderne : « Le bouleversement que connaît aujourd’hui la langue en France pose un problème politique majeur, celui de l’unité de la société française autour d’une langue commune.»
L’Académicien a donc pour mission de servir l’unité de la France par le service des mots.
(Cité par Jean Sévilla, Figaro magazine 3 décembre 2011).
René Bazin a-t-il rendu ce service honorablement alors qu’il est l’auteur de romans « régionalistes » ?
Les romans de Gingolph l’abandonné (1913) et du Roi des Archers (1929), ces deux romans situés en région Nord de la France, ont-ils été d’un apport nouveau sur la société de son époque ?
Les sujets et la construction de ces romans sont-ils intéressants en tant que leçons d’histoire ou bien humanisme de toujours ?
Présentation des deux histoires :
Un jeune pêcheur, de pêche à voile, tombe amoureux d’une jeune fille ramandeuse de Boulogne. Mais ravie d’être aimée, Zabelle est trop citadine pour aimer cet homme de mer. Un capitaine la distrait pendant que Gingolph est en mer, et la promise quitte son promis. Déception, humiliation, jalousie, vengeance, mais aussi revanche se disputent le cœur de Gingolph qui court la mer et traverse la tempête. Sa Mère veille, et accompagne son fils jusqu’à l’âge d’homme.
Le roman est construit avec ce fil rouge psychologique, mais aussi avec la vie des petits ports de la Manche, avec leurs belles traditions qui consolident l’énergie des habitants face à la Mer, face au vent.
(Saint Gingolph est un Saint du Valois, patron des maris trompés ! Le nom de famille Gin est typique du Portel, encore actuel)
Le Roi des Archers commence sur un tournoi de tir à l’arc, et s’achève sur la transmission du titre de Sire. Mais ces hommes sont des tisserands, nobles de caractère et soucieux d’honneur jusqu’à la rudesse.
Une fille Adeline, quitte son mari malade en abandonnant sa fille de 15 ans Claire, et Demeester, le roi des archers, recueille sa petite fille. Mais ce veuf a du mal à accepter la conduite de sa fille et tout le roman cherche un nouvel équilibre. Son patron d’usine Monsieur Lepers-Hooge lui proposera une maison-atelier, lieu de reconstruction familiale. Adeline trouvera la force de quitter sa vie désordonnée, après une procession à Bruges et enfin le pardon refleurit.
- La pertinence de ces romans à cette époque-là, dans cette région là.
Le Nord était en 1900 une région en plein bouleversement industriel et il est frappant de saisir à quel point les métiers des héros principaux de ces romans du nord, sont les métiers qui faisaient parler d’eux par leur modernisation et l’état de crise qui en résultait.
René Bazin, passant par le Nord pour s’embarquer vers l’Angleterre rendre visite à sa fille chérie Jeanne,à Westgate, (Années 1915, 1917, 1922) a sûrement vu de ses yeux ces nouveaux bateaux de pêche qui quittaient la voile pour la vapeur, et lu dans les journaux le désastre de cargaisons perdues.
Quelques années plus tard, puisque le Roi des Archers est édité en 1929, c’est dans l’industrie textile de Roubaix, la lainière, que notre auteur va chercher l’illustration du travail des ouvriers du Nord.
Là aussi, René Bazin colle à l’actualité régionale des tensions dues à la modernisation du travail et la recherche du profit qui met en péril l’équilibre familial et la santé des ouvriers.
L’une des notes de son carnet 1883-1890, qui préfigure la rédaction du Roi des Archers, est on ne peut plus significative :
« Fais un roman ouvrier. Roubaix, fabrique de velours. L’héroïne, jeune fille honnête, de la seule honnête famille, ramène le fils du plus mauvais ouvrier qui finit par convertir le patron lui-même aux idées sociales et non socialistes des économistes catholiques. Pas de sermon, des idées, de l’émotion, une vraie profondeur ouvrière, plus vraie que celle de Zola, qui fait des corps sans âme, tandis que l’ouvrier a plus d’âme que les bourgeois. » (504 Archives départementales du Maine-et-Loire, 11 J 13 : « Notes de lecture, Carnets intimes, Notes souvenirs sur l’Académie »)
Cette idée mûrit et l’originalité de l’auteur est de décrire le milieu du travail avec exactitude tout en jetant des éléments de réponse aux conflits, à travers les éléments du récit qui sont novateurs.
Sans éluder les questions difficiles, le romancier propose des solutions humaines.
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Aspects sociologiques : les ouvriers
Les rapports entre ouvriers sont emprunts de camaraderie :
Que ce soit au port ou en mer, une vraie fraternité tient les marins entre eux avec une entraide des anciens aux plus jeunes.
Tandis que la douleur empêchait Gingolph de rester au repos, c’est le vieux Cantagrel qui est près de lui, à parler Pêche et mer pour le distraire « des idées ». Et Balard, autre marin de la Tour –d’Odre, explique pudiquement au mousse rabroué par Gingolph Lobez : « La peine, ça fait quelquefois l’effet de l’eau de vie, mousse, et il vaut mieux que les jeunes ne s’en occupe pas -Tu sais ce qu’il a ?- Non : c’est des femmes, bien sûr. » Et par la suite, la pudeur et la délicatesse de ces hommes pour la peine leur font garder le silence, jusqu’à ce que quelques jours plus tard Cantagrel le loup déclare : « N’y a pas de plus grande nouvelle depuis qu’on est parti de Boulogne : j’ai vu rire Gingolph Lobez ! »
« Après toi, mon Empereur !- Mais non, Sire, mais non ! Tu es le plus âgé, passe devant ! »
(Photo Fédération des Archers de France, fondée en 1928)
Voilà le dialogue de camaraderie qui sert de premiers mots au Roi des Archers. Pourtant il s’agit bien d’ouvriers, l’un tisserand, l’autre lainier, mais le tir à l’arc les réunit dans une sorte de fraternité. Et de même à l’usine : « moi je déjeune avec des amis, depuis des temps et des temps… »
C’est un camarade d’usine qui soigne Lucien, et conduit sœur Léocadie chez lui. Et Demeester était encadré par deux compagnons lorsqu’il conduisit le corps de Lucien Leleu à l’église.
De respect du savoir-faire :
René Bazin est un observateur précis et il décrit chaque métier avec tant de détails qu’il a sûrement pris le temps de côtoyer les pêcheurs de la Manche ou les tisserands de Roubaix.
Il raconte comment sur la Reine-Marie, bateau à voile, les marins « filent les lignes enroulées dans les mannes…et prennent une belle charge de congres et de merlans, et quelques raies et barbues… » ; Mais l’autre pêche aussi, celle du harenguier à moteur est décrite avec précision : « tendre la tézure en travers d’un courant », patienter, puis à la vue de la baleine : donner l’ordre de tirer la tézure. « Les filets étaient couleur d’argent …une maille sur dix retenait par les ouïes un hareng qui se débattait encore »… « Tous les hommes étaient enveloppés par cette moisson vivante. » comparaison de terrien!
Félicitations à Gingolph pour une pêche de qualité inespérée due à son observation, puis pendant la tempête, après la prière, c’est encore lui qui avec deux compagnons descend couper le filet qui emprisonnait l’hélice : « les compagnons groupés, penchés, haletants, la tête dans les épaules, muets comme des cormorans posés sur la couronne de fer d’une balise, attendaient. »
Enfin, perdus dans la brume, ils retrouvent le chenal : « Quelle belle manœuvre ! …Celui-là lisait le fond de la mer. Pas de carte, pas de jour, pas de brevet de capitaine : il avait tout dans la tête. » René Bazin observe la manœuvre, mais c’est l’homme qui l’intéresse.
Dans le Roi des Archers, le savoir faire du tireur est décrit avec admiration. Et l’estime des joueurs pour l’exploit est la raison des titres de sire, et d’empereur.
Moins distrayant peut être, fut l’observation du tissage, mais l’auteur ne s’économise pas et raconte l’usine : « Avec le bruit des courroies qui tournent et des masses d’acier qui frappent, dans le frémissement du sol, des murs, des toits, que font vibrer cent métiers en action… ».Puis il entre dans le détail du métier chez soi : « Il clincha la commande de la machine et aussitôt le métier se mit à battre. Lundi je leur apporterai de quoi travailler à ces beaux galopins : la chaîne, la trame, et les cartons qui guident la danse… »
Dans le Roi des Archers, toute la tension dramatique est nouée autour de la question de la mauvaise vie d’Adeline, et le dernier chapitre raconte le retour à la maison de cette fille désespérée. Mais c’est sans discours ni grands mots, par le seul travail qu’Adeline retrouve l’estime de son père : « Je jugerai ce soir si tu sais encore travailler, dit le tisserand. » Et le défi est de taille, parce que le vieil ouvrier est dur au travail, et veut vérifier à sa propre mesure avant de redonner sa confiance.
Comme dit René Bazin à propos du tisserand ; « Il ne comprenait pas beaucoup de choses, mais il savait le travail. »
Du sens de l’honneur :
Qu’est-ce que l’honneur pour ces gens simples ? Certaines choses se font, d’autres non, et ça va sans dire !
Les sentiments de Gingolph sont ceux d’un jeune homme dans la peine d’Amour certes, mais aussi d’amour propre blessé par celle qui l’a humilié. (Cf. : chap19 la belle Normande,)
Les marins, sont étonnés que la belle normande monte à bord…ils n’ont pas coutume de mélanger les femmes et le bateau : cela ne se fait pas.
Le drame personnel de Demeester est justement une question d’honneur :
Vis-à-vis de sa fille : puisqu’elle a échappée à son autorité, et à sa promesse. Et il est humilié à tel point de cette conduite, qu’il demande :-« Ne m’appelez plus Sire, connétable : elle me fait trop de honte… »
Mais aussi, il garde l’honneur devant la proposition du patron Monsieur Lepers, et même la défiance au début. Mais quand il finira par accepter ce sera avec une joie « noble », convaincu d’une opportunité de travail et non par obéissance au patron.
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Les dangers du travail sont évoqués à travers :
Il est présent chez les marins, et « Torcaille la Bistouille, ainsi surnommé à cause du terrible goût qu’avait eu et qu’avait encore le patron pour l’eau-de-vie mêlée de café. » et parfois de bon secours pour vaincre la fatigue, mais dangereux aussi associé à la colère de la vengeance (Gingolph, chap17, Aberdeen)
Mais l’alcool est encore plus présent à Roubaix, soit eau-de-vie versée dans le café, bière de l’estaminet, vieux vin de bordeaux offert par le patron à son vieil ouvrier, et surtout alcool qui rend paresseux Lucien Leleu, le mari d’Adeline.
« Durant la révolution industrielle, le cabaret accueille toute la vie associative. Pas de société sans cabaret. » P.Delesalle, Opus cité.
La santé précaire :
Car le drame se joue avec cet homme phtisique qui meurt délaissé par Adeline, dans une courée bien triste. Sans la sœur Léocadie, il n’aurait eu aucun soin.
Dans la famille Lobez, il y a l’enfant chétif, Désiré, «Le deux fois pauvre… », Et les marins vieillissent vite : le patron Gayole est fragile du cœur, Torcaille de la poitrine…Les soucis de santé sont vécus dans l’angoisse de perdre son travail.
Le mal-logement :
C’est une barque retournée qui abrite la famille de la veuve Lobez et ses six enfants, et c’est pour louer une maison en dur que le fils aîné s’embarque.
A Roubaix, les courées, c’est un habitat citadin conçu pour s’entraider, mais les logements sont petits, mal chauffés, mal entretenus.
René Bazin trouve le moyen de la décrire avec précision : « Auprès de la cabane, bâtie au fond de la ruelle, qui abritait les cabinets d’aisance des habitants de la courée, deux chats, aplatis sur le sol, guettaient un rat….Un quartier de lune trop mince pour tirer de l’ombre l’arrête des cheminées et le sommet des pignons, mais qui rendait moins vague, dans la nuit ce paysage de pierres levées, briques et tuiles, qu’on percevait de la fenêtre. » L’espace de l’impasse est le lieu de dégagement, pour les eaux usées ou les conversations. Un puits pour 10 ou 20 ménages, les déchets dans un coin du lotissement…Dominique Vermander cité par Paul Delesalle (p.136, (dans Lille, Roubaix, Tourcoing, histoire et tradition Ed Corlet 1991,)
Le travail qui déshumanise :
La concurrence entre la pêche à voile et les harenguiers à vapeur court à travers l’histoire de Gingolph, et si le héros formé à la voile, cède pour embarquer sur le vapeur, c’est bien par nécessité de mieux gagner sa vie et celle de sa mère veuve. Pourtant c’est grâce à son sens de la mer acquis sur les barques à voiles, qu’il sauvera le bateau dont l’hélice est prise, et qui »s’en va comme un corps mourant… » Les marins du bateau vapeur se sont découragés plus vite que lui, comme soumis à cette force de la machine, et incapables d’en dominer les risques.
Autre exercice difficile : la fraude de tabac, si bien raconté dans la nuit, et peut être bien repris par Maxence van der Meersch dans la maison dans la dune, (Albin Michel)
Sur la route de Menin, vers la Belgique, « Le flot humain déferla et roula, presque sans intervalles…ambulants de tout âge, hommes, femmes, groupés au hasard …». Et cette description n’est pas une exagération de René Bazin, car l’historien Paul Delesalle décrit le développement rapide de Mouscron (voisin de Menin), avec l’afflue des ouvriers frontaliers.
Ce fût même une source de concurrence difficile entre les implantations de tissage de part et d’autre de la frontière.
Les rapports entre employés et employeurs ont une tonalité particulière :
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Respect réciproque :
« Selon Albert de Bersaucourt :
L’ouvrier a toutes les sympathies de Monsieur Bazin…la notion d’honneur est très vive chez lui….on s’acharne à le représenter comme un impulsif esclave de ses instincts et de ses hérédités,…Il est autre chose. Qui saura les découvrir rencontrera des délicatesses insoupçonnées et des élans de dévouement chez le plus misérable. »
« Lamirand (Sur le premier bateau à voile, la Reine-Marie,) enfonça le poing dans l’épaule et la poitrine de Gingolph, et cette bourrade était de contentement. » (Note : Lamirand est encore le nom d’une impasse au Portel)
( carnet de René Bazin : le bateau)
Ainsi le vieux Gayole se prend d’amitié pour Gingolph parce qu’ils ont parlé de bateaux et de pêche ensemble : « Eh bien je vais t’apprendre mes secrets…Quand tu as vu la baleine souffler, et jouasser, et ses baleineaux venir tout contre le bateau, sois content : vingt quatre heures après qu’elle a passé, mets tes filets à l’eau…La manche c’est une mer qu’on ne connaît pas facilement, une femme, une matelote, mais c’est une bougresse aussi qui sait remercier ceux qui s’occupent d’elle. » Il avait parlé de son plus grand amour… » Et se voyant compris par le jeune garçon il devint content que sa fille lui plaise. (Ch9, Gingolph, l’abandonné)
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Amour du travail lui-même
Ce goût du travail lui-même se sent dans la complicité du savoir-faire, le respect de l’outil de travail, et quand cet outil s’associe à la Nature, une reconnaissance envers elle, Terre ou mer. A force de la côtoyer et de tant la connaître, il faut bien l’aimer. « La nature n’est pas un décor, mais la compagne de l’homme… » Pierre Piérard, Angers, 27 janvier 1983 (Pierre Piérard est un historien du Nord, spécialiste de la question ouvrière)
Les évocations précises rendent cette familiarité avec la nature, dans les noms d’oiseaux, de plantes ou de poissons.
En décrivant les harenguiers au travail, l’auteur cite 22 noms de poissons et crustacés différents !
« Dialogue de pêcheurs : « La robe est noire, attend qu’elle s’argente !…dis l’un
-regardez l’oiseau, un margat, vous pouvez tendre ! réplique l’autre
-« Tu ne sais pas ce que tu dis, blanc bec ! T’as donc pas vu la mer ce soir ? Elle a des étoiles en dedans. L’hareng est bien obligé de passer au travers… » (Chap. 16 : la belle navigation d’un homme en peine, Gingolph)
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Originalité de projets participatifs :
Bateau confié :
Gayole veut confier son bateau à Gingolph, mais ce bateau est un vapeur et le jeune aime la voile : « Je tiens à la voile, je tiens à la part… », Affirme-t-il, et il explique fièrement que la vapeur change le cœur des marins : « Vous n’êtes plus des frères les uns pour les autres tandis que moi…je suis dans ma maison, je suis sur mon bien. » (Chap. 9)
Mais pour sauver sa mère et ses frères et sœurs de la misère, il acceptera une place sur la Tour-d’orde, et finira patron de l’Empereur, acquérant ses galons grâce à sa connaissance la mer. Ainsi son parcours « réconcilie » les deux pêches.
Maison-atelier :
La proposition du patron Monsieur Lepers-Hooge, est une réponse très humaine et appropriée aux mauvaises conditions de travail des tisserands. A côté des patrons laissant les ouvriers travailler chez eux mais en cave, ou à l’usine avec des horaires lourds, la maison neuve est un petit paradis. C’est bien ainsi que la fille institutrice le comprend, et c’est elle qui convainc son vieux père de participer à ce progrès social en acceptant.
« Quand chaque maison flamande, dans les villages, avait deux ou trois métiers, que menaient les hommes, les femmes, les enfants…On avait le cœur à l’ouvrage ; on travaillait chez soi ; on se remplaçait l’un l’autre… » C’est cet arrangement qui permit à Demeester ne pas « être de la rouge » avec les « anarchistes d’opinions », mais de devenir propriétaire de son métier à tisser, tout en renforçant les liens familiaux.
Cette idée « moderne » a vraiment existé comme un progrès social proposé par un patronat chrétien, cherchant à améliorer réellement les conditions de vie de leurs ouvriers. Rappelons que l’action catholique a été fondée par des hommes comme Philippe Vrau ou Camille Feron-Vrau, (1829-1908) Deux frères si pieux qu’ils ont installés une chapelle au cœur de leur usine ; (Monseigneur Baunard, 1910. Cinquante années de l’action Catholique à Lille)
journée d’industriel., tiré de P.Delsalle, opus cité
C’est le choix de telles initiatives qui permit à Monsieur Fortunat Strowski, rédacteur dans la revue : « L’école laïque » de dire « Livre vraiment socialiste, car il socialise le meilleur de l’âme de certaines créatures d’élite ! »
L’objectif pédagogique de René Bazin est d’apporter un regard positif sur les métiers de son temps en plein bouleversement. Il en campe les difficultés, mais sait aussi en décrire les opportunités, pour encourager la « résolution du conflit par une sortie de crise positive. »
(Photo usine Motte avec chapelle)
C’est cette modernité de regard qu’il a sûrement tiré d’une lecture attentive de RerumNovarum, mais aussi de rencontres dans le nord avec des patrons chrétiens et le Cardinal Liénart. Cet évêque nommé à Lille en 1929, fut tout de suite ouvert à un dialogue très fructueux avec les autorités : Roger Salengro 1928. Il soutint l’action catholique, la JOC, naissante, mais aussi le syndicalisme chrétien reconnu par Rome en 1929. Il fut célèbre aussi pour sa mise en garde contre le communisme en 1936. Pierre Piérard, qui fit une communication sur René Bazin en 1983, le nomme « pionnier du roman social catholique » (Il est l’auteur de « leslaïcs dans l’église de France au XIX° », Ed Ouvrières, et il est natif de Roubaix)
Monsieur Burgé rappelle le commentaire de François Mauriac : « Ce catholique ne recule guère devant les sujets brûlants, et nous savons qu’il ne redoute pas de nous livrer l’accès des coeurs malades et déchus. Rien de ce qui émeut notre époque ne lui est étrangèr. Voici l’un des très rares romanciers de ce temps au vrai, n’est-il pas le seul ? Qu’intéresse profondément le conflit du capital et du travail : son dernier ouvrage, Le Roi des Archers, en témoigne encore. Ce bourgeois, ce chrétien, est beaucoup plus « à la page » qu’aucun de nous pour ce qui touche la question sociale.
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Autres aspects sociologiques :
Le rôle des femmes :
Comme souvent chez René Bazin, les personnages féminins sont particulièrement soignés.
Mais surtout dans chacun de ces deux romans ils sont mis en scène avec un choix de contrastes qui leur donne un relief exceptionnel.
Dans Gingolph, la mère Lobez, veuve et pauvre, est une mère courage pleine de finesse malgré ses sabots. Notons qu’entre le quai de la Vierge et le quai du calvaire, il y a bien au Portel, la rue Lobez.
(La rue Lobez est visible sur le plan moderne site : www.leportel.fr)
La femme Gayole, femme de patron pêcheur, a manqué de perspicacité dans l’éducation de Zabelle et gâté sa fille, ce qui sera une des causes de son malheur. Tandis que Rosalie Lobez a un cœur qui prie et réfléchit, un esprit qui s’est formé de lectures spirituelles et de l’observation d’expérience. Elle est si maternelle avec Désiré, l’infirme qu’on voulait placer. Elle refuse : « Je voudrais bien monsieur, mais je ne peux pas : qui est-ce qui lui ferait son âme ? »
René Bazin lui donne cette réplique dans l’église d’Equihen : « Que fais-tu si longtemps à ta place, penchée sur ta chaise, ma pauvre Rosalie ?-Je l’avise, et il m’avise. »
Son sens maternel et l’oubli d’elle-même lui permet une qualité d’écoute non seulement pour deviner les peines et joies de ses enfants, mais aussi comprendre celle qui fera souffrir son garçon : «et pour Zabelle, je tâcherai de l’aimer. »
Elle souffrira du choix de son fils, mais saura aussi rester respectueuse de ses sentiments, se gardant la tâche de consoler, jusqu’à cette magnifique conclusion en découvrant la belle normande, nouvelle fiancée aimée par défi : « Voilà un devoir qui me vient. Elle est bien belle, la gueuse ! Mais c’est le cœur qui n’y est pas encore ! C’est si nouveau ! »… « Mon Dieu, je le vois bien, il faudra que je continue d’être la mère, encore un bon bout de temps ! »
Les jeunettes ont des personnalités en opposition aussi, entre Marie, du Portel, douce, pieuse et discrète, trop discrète puisque Gingolph ne la remarque pas, et Zabelle, celle de Boulogne, trop coquette et capricieuse, de son propre aveu, et qui manquera à sa parole.
Mais pour l’une ou l’autre, René Bazin trace en termes précis un portrait charmant :
« Elle avait les yeux au loin, ses yeux contents et pleins d’esprit, le teint vif à cause de la fatigue, les lèvres tendues par un petit rire et mouillées par la brume. »(Coiffe porteloise, costume matelote et marin portelois)
Zabelle a des défauts, mais elle n’est jamais accablée, Gingolph l’aime encore, et peut être René Bazin laisse-t-il filtrer une tendresse de père pour cette fille frivole moins par méchanceté que par manque de maturité. Il décrit, il analyse, il ne juge pas.
Marie Libert : « Elle avait sa cornette en mousseline nouée sous le menton, et son air de sagesse, et ses yeux d’un châtain clair tachés d’or, et qui luisaient au coin. »
Et cette fraîcheur charmante devient resplendissante le jour de la bénédiction de la mer : Après une description très fine de la coiffe « La tête, moulée dans l’étoffe blanche, n’ayant plus la richesse profane des cheveux, prenait une dignité religieuse. Le visage devenait roi. Rien ne se perdait plus du moindre mouvement des sourcils, des yeux, des lèvres. »
Les femmes de la famille Demeester sont trois : deux sœurs qui jouent des vies d’ombre et de lumière, en contraste l’une de l’autre. Et la petite, fille d’Adeline, qui se réfugie chez son grand-Père.
René Bazin excelle pour décrire cette jeunesse : « Les yeux de Claire, couleur d’aigue-marine, les joues fraîches de Claire, et ce cou de blonde, délicat et parlant… » Est-ce Demeester qui le voit ou l’auteur si paternel ?
Autour de cette jeunesse délaissée, deux vieilles demoiselles se dévouent, personnages chers au cœur de René Bazin dans d’autres romans, et près de Lucien Leleu moribond, sœur Léocadie, se dévoue et apporte la paix en même temps que les soins.
Madame Lepers, la femme du patron industriel mérite un chapitre. « C’était une femme décidée. Plus que lui, elle était homme d’affaires. ».Elle est au fait de l’usine, comme de chacun des neufs enfants, et elle respire une force sereine faite de bon sens et de générosité. C’est une belle figure, parce qu’elle correspond au rôle des femmes de cette époque dans les grandes familles Tiberghein, Motte ou Masurel.
« Ma mère était la femme énergique par excellence, et rien ne la faisait dévier de son devoir. (…) C’était une femme extraordinaire. Mariée à l’homme le plus paisible, le plus doux du monde, et surtout le plus ennemi de l’industrie, elle fut amenée par les circonstances à mener elle-même la fabrication et la filature. En même temps, elle s’occupait de l’éducation de ses enfants, et on peut dire qu’elle nous a inspiré à tous le goût de la science et du travail. Conduisant d’autre part sa Maison avec diligence, et quoique la fortune lui ait souvent tourné le dos, ma Mère, à force de modération, est arrivée à nous laisser un beau patrimoine. » Lettre d’Alfred Motte à Charles Gillet – 17 février 1871 (Livre du centenaire, CAMT H 3521) |
Lepers existe mais pas associé à Hooghe qui est belge, et que René Bazin a choisit pour évoquer la Flandre, le travail transfrontalier inhérent aux industriels de l’époque.
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La place du religieux :
Je croyais parler de la religion des femmes seulement maintenant, mais les précédentes citations y ont déjà fait allusion, car les femmes choisies par notre auteur sont réellement pétries de religion, c’est leur oxygène et leur culture.
Par contre, ce n’est pas une religiosité de plainte ou sensiblerie, mais plutôt une force morale qui permet de traverser les évènements.
Rosalie Lobez est femme de prière, mais Mademoiselle Noémie du Haut Berger aussi, elle qui accueille la peine secrète de Zabelle, et la vie de ces femmes est rythmée par la prière de façon toute spontanée et ordinaire.
Citons Hervé Serry : « Il serait dommage de refuser cette piété culturelle sous prétexte qu’elle serait dogmatique. » (Recherche en sciences sociales 1998, les catholiques dans les années 1920.)
La piété populaire : une procession dans chacun des romans :
(Comme dans Madame Corentine)
Sur le site de la ville le Portel, figure encore la procession de la bénédiction de la mer, en Juillet, que René Bazin décrit comme un jour qui réunit la communauté des marins et des terriens :
« Un grand murmure sortait de la foule. Alors le curé prit, des mains du premier des enfants de chœur, la grande croix argentée ; il fit encore quelque pas, et lentement, avec la hampe, tandis qu’une vague déferlait, il traça dans l’eau le signe rédempteur .On attendait que la mer eut ainsi tous les sacrements qu’elle peut recevoir. »…« Trempant les doigts dans le flot nouvellement bénit, ils se signèrent. Le geste fut fait, en même temps, d’un bout de la plage à l’autre. » Toute la population est d’un même élan dans la crainte de la Mer et dans l’espérance de la Foi.
Et la tradition « au guénel » la nuit de Noël pendant laquelle les enfants vont de porte en porte, une betterave sculptée à la main, en chantant pour obtenir quelques friandises se perpétue aussi, avec un concours et des récompenses pour les betteraves sculptées. (Cf. site de la ville le Portel)
Est-ce le fait d’une population attardée ? Est-ce la vision chrétienne de l’auteur qui enjolive les choses ?
Il me semble que c’est plutôt l’observation des coutumes qui tissent la culture d’un pays, et réunit des cœurs face aux dangers des conditions de travail. La mer est à la fois aimée car elle apporte la joie de la pêche, la beauté et la vie, mais elle révèle aussi à chacun sa fragilité d’homme.
La procession de Bruges, elle aussi est encore célébrée le jeudi de l’ascension.
Comme alors, s’y rendent des touristes et des pèlerins. « Notre Bruges, c’est un vieux missel, avec toutes ses images ». disait Ursule. Description des costumes, des rôles, jeu de cloches, marche processionnelle, évocation des groupes, « les actes » suivis des chars décorés de scènes d’Evangile, toute l’intensité dramatique converge vers le passage du Saint Sang. Dans cette foule recueillie, l’amant d’Adeline ricane, et sa sauvagerie se révèle : il s’enfuit.
Adeline est venue chercher une grâce et son geste enfantin peut surprendre, mais la grâce ne vient pas tout de suite. Ce choix de récit permet d’éviter le caractère superstitieux d’un tel geste. Il y a plus de profondeur pour l’auteur à respecter les méandres de conscience d’une âme tourmentée, et le pardon arrivera par étapes.
Sens du bien et sens de l’honneur :
Le travail et la responsabilité des femmes sont bien présents.
Mais ce qui surprend peut-être c’est combien chacune des femmes « fautive » se sent triste de son choix ensuite, de par sa propre réflexion personnelle. Ce n’est pas le jugement des autres qui leur fait reconnaître la faute, mais la tristesse de ne pas être fidèle. Et même celle qui trahit sa parole garde le sens de l’honneur.
« Je ne pleurerai plus que devant Lui (Dieu), et devant vous » conclue Zabelle après son aveu à Melle du Haut Berger.
Pardon et rédemption :
Comme nous l’avons dit dans le résumé de chaque roman, toute la tension du livre s’apaise dés lors que le pardon illumine les cœurs. C’est cette tension intérieure des cœurs en dialogue avec Dieu, qui sous-tend l’action. Les personnages agissent, font des choix, assument aussi leur faute, mais sont assez lucides pour se battre contre eux-mêmes pour arriver à pardonner. C’est là leur droiture et leur dignité retrouvée. René Bazin cite quelques mots de prière, mais de façon assez discrète, somme toute, et plutôt pour évoquer le langage de Foi qui est un parler bien connu par ces gens du début du XXème.
La religion était critiquée, mais elle était encore pratiquée, sinon par une assistance régulière à la Messe, excepté les femmes, mais au moins par une relation à Dieu simple et directe.
Zabelle a conscience de ses torts, et elle parle en faisant face à Gingolph, mais si elle a un peu de pitié elle ne demande pas vraiment pardon. Elle se justifie plutôt, avec aplomb, mais a avoué son regret à Mademoiselle du Haut-Berger.
C’est Gingolph, qui lutte avec lui-même pour éviter une vengeance violente. Pendant le voyage de la Tour- d’Orde, Gingolph est tourmenté par la jalousie, et voilà que son ennemi est à sa merci dans une taverne sur la côte de l’Angleterre. Les deux hommes se battent, Gingolph est blessé, mais il garde surtout peur de ce qu’il aurait pu commettre si de son propre aveu à Minquier : « Pour que j’aie la force de ne pas me venger, j’ai prié tout le temps que j’étais en mer. Pour que je ne me venge pas, il faut que la pauvre mère Lobez ait demandé ta grâce… » En effet il priait : « J’ai voulu la mort de Le Minquier, c’est mal. Le Maître a souffert plus injustement que moi. Il a pardonné, à moi-même il a pardonné plus qu’on ne m’a fait, quoique l’injure soit grande ! ».
Et c’est ce marin-là qui priera le Notre Père et le fera prier par l’équipage désespéré.
Pour René Bazin, les mouvements de l’âme ne s’apaisent que lorsque la faute est pardonnée, non seulement par Dieu, mais aussi par le fautif lui-même.
En effet le coupable reste dans la tristesse, jusqu’à ce qu’il pose un acte de réparation. Aujourd’hui, on parlerait de résilience…
Le Vieux Demeester attend le retour d’Adeline, et le refuse aussi, tant qu’elle n’a pas posé d’acte convainquant de son repentir. Il faudra à cette fille paresseuse gagner par son travail sa place dans la maison, et le pardon n’est pas encore tout à fait là. Mais Adeline est humble devant son père : «Vous avez pas tort, je suis gueuse, de toute manière, je le suis. » Et c’est en acte qu’elle prouvera sa bonne volonté nouvelle.
Et c’est dans le courage d’un nouvel acte positif, action plus que parole, que le coupable accepte tout à fait sa propre rédemption.
- Aspects typiques du paysage :
Pour chacun des romans, j’ai cherché à vérifier un certain nombre de données géographiques que je vous donne à voir.
Les caractéristiques régionales sont mises en scène avec précision, une fois de plus, avec des détails dignes d’un journaliste menant l’enquête, comme le disait Madame Catta : « Ses carnets de notes changent de nature : ils deviennent matériau d’écriture, avec dessins, plans, croquis, repérages, description de costumes et de coutumes, multiples notes, ce qu’il appelle lui-même :… « Ma palette sur laquelle j’essaie mes phrases. » (Monique Catta, « L’invitation au voyage chez René Bazin »).
Au service de la peinture des caractères :
Une raison profonde pousse René Bazin à étudier ainsi le paysage, c’est d’annoncer le changement d’humeur d’un Gingolph, ou les tristesses d’un Demeester, par une sorte de cadrage photographique. La nature et les saisons, et la lumière conditionnent –elles les mouvements de l’âme ? Il est sûr que sa perspicacité de l’âme humaine a prouvé mainte fois à Monsieur Bazin, qu’un lien très fort existe entre le pays et le tempérament. Ces personnages si aux caractères forts sont des êtres bousculés par le vent de mer, luttant chaque jour pour vivre, et tirant de cet effort même contre les éléments, leur grandeur.
Roubaix est froid, pluvieux, pendant une bonne partie du roman, mais le printemps est l’annonce du grand changement, dans les cœurs aussi.
Ainsi préparé par le descriptif d’une phrase, le lecteur peut pénétrer dans les états d’âme des personnes.
Dans ce roman de Mer, et de mer du Nord, le vent est tout le temps présent :
« Le vent souffle avec le soir qui tombe ».
« Le vent s’apaisant, la pluie droite et froide, commença de traverser l’étoffe des blouses de toile brune ».
Et même une douceur, de juin : « il soufflait du large une brise qui entrait, par bouffées, dans la chaleur des champs et dans les maisons dont les fenêtres, toutes, étaient ouvertes….ce soirlà la mer était douce. » Et cette description est le prélude d’un temps de connivence de la Mère et du fils. (P.89, Gingolph)
Mais c’est en mer que le talent descriptif se déploie :
Gingolph tourmenté court devant lui dans la nuit, sur ces plages qui s’étirent, dans un paysage encore sauvage, parce qu’il a une sauvagerie dans le cœur. On pense à Chateaubriand, le romantisme n’est pas loin. Mais il n’y a pas de sentimentalisme, ni de mièvrerie.
Le ciel est observé avec précision : « Il faisait sombre ; les nuages couvraient les étoiles : à l’ouest seulement, du côté où est le grand Océan, le ciel était clair. Quand la Reine-marie se levait à la pointe d’une vague, et qu’on regardait par là, on pouvait observer qu’il y avait une bordure pâle, entre le bas de cette calotte de nuages et la ligne d’horizon…. »
Au service des mouvements du récit :
La pêche marche mal, il faut naviguer plus loin, les risques sont pris.
La tempête se déchaîne,
« Toutes les deux ou trois lames, l’eau, coupée par l’avant, se dressait, jaillissait en deux colonnes jusqu’au dessus du pont, et là, prise par le vent qui fauchait toute la mer, aplatie, formée en plaques luisantes comme l’acier, traversait horizontalement la Tour-d-Odre, de l’avant à l’arrière, heurtant les câbles, la cheminée, la passerelle,les portes des postes d’équipage, et les hommes qui recevaient cette douche glacée dans le dos, sur la poitrine, ou en plein visage, et en demeuraient un moment étourdis ou aveuglés. » C’est un drame qui se prépare et met en scène la fragilité de l’homme devant la force de la mer, mais aussi son courage qui le garde vigilant quand tout semble perdu, son sang froid pour agir, son recours à la prière pour tenir. La tempête est décrite au service de la grandeur des marins.
Elle est aussi un tournant psychologique pour Gingolph qui peut affirmer sa compétence, et reprend ainsi quelque goût à la vie.
Au service de l’espérance : la lumière du printemps.
Quand Gingolph lors d’une escale rencontre la belle normande, la lumière est là :
« Le temps est meilleur qu’à Boulogne : il fait du vent et du soleil ensemble. »
Toujours le vent, qui accompagne aussi l’arrivée au port avec la belle promise sur le pont comme une effigie : « Le bateau force de vitesse…-Il veut entrer au jour. » Gingolph soigne en effet la mise en scène de sa revanche de promis abandonné.
Le Nord a une réputation sombre, et tant que la tristesse est là, en effet les rues sont grises, et « la brume des nuits de Flandre,…cette rôdeuse, » se faufile jusque dans les maisons.
Le paysage est citadin.
Le printemps laisse place à plus de lumière, d’abord lors du pèlerinage à Bruges : « Les blés nouveaux, les orges, quelques champs de lin plus pâles, ondulaient dans les clairières enveloppées de maisons. Tes maisons sont des pavots roses, Flandre aux printemps tardifs ! » Et cette couleur douce annonce les évènements, le début d’un retournement pour Adeline.
Depuis la maison atelier, Claire aperçoit une blancheur : la haie a fleurit annonçant la joie familiale.
-
Conclusion :
Souvent, les qualités de René Bazin sont citées avec un peu de commisération sur son passéisme. Mais, j’ai été frappée par la justesse de son analyse de cette région où je vis depuis 20 ans maintenant. Pourtant les deux mondes décrits sont bien éloignés de la douceur angevine. Comment a-t-il pu comprendre si bien les tempéraments de ces nordistes, pêcheurs ou tisserands, si éloignés de lui ?
Une seule réponse s’impose : René Bazin aime les gens. Et c’est parce qu’il les aime vraiment, qu’il touche le lecteur, car tout en s’adaptant aux caractéristiques régionales, il touche au cœur humain universel.
Il lui est reproché parfois une pudeur d’expression des sentiments, surtout dans ces fiançailles dont la coutume et l’intérêt se perd à notre époque. Mais les dialogues tout de retenue, sont bien plus proches de la réalité que vit tout à chacun, que des envolées lyriques.
Pour exemple, rappelez-vous dans le film de Dany Boon des « chtis », la déclaration d’amour se fait avec un concert des cloches du beffroi, et non des belles phrases.
Peut être les « nordistes » sont-ils particulièrement pudiques dans l’expression de leurs émotions…
Mais justement, ce qui me frappe c’est la convergence étonnante de ces particularités régionales. N’y aurait-il pas lieu de souligner aussi à quel point les colères, les mépris, les générosités, les pardons, rencontrés dans ces romans sonnent vrai ? Cette vérité est celle d’une région, mais ne contient-elle pas aussi une résonance profonde et universelle ?
Je m’appuierai sur l’analyse de Mathias Burgé : « Le romancier met alors son art au service de deux puissants maîtres, le Beau et le Vrai, et se donne pour mission tout à la fois de révéler la beauté et le charme des régions françaises, avec leurs particularismes et leurs coutumes pittoresques, et de rendre le plus fidèlement possible la vie des hommes qui y vivent. » (P214)
En approchant la vérité du cœur humain, René Bazin apporte sa peinture d’amateur d’humanité à l’universel. Il mérite aujourd’hui son titre d’Académicien : Quelle sera notre prochaine édition, notre prochaine cible, pour lui rendre hommage ?)
Brigitte CATTA – de BAUDUS
AG 28 Janvier 2012
Remerciements :
A la mairie du Portel et surtout Monsieur Evrard qui a donné la plupart des cartes postales du Portel : http://www.ville-leportel.fr
. (Revue du Cercle Historique Portelois « Notes et Documents« , année 1987- Gérard Pirot.)
On peut contacter le Cercle en écrivant à l’adresse suivante :
Cercle Historique Portelois Mairie de Le Portel 62480 Le Portel
Au Musée de L’archerie à Crépy en Valois : musee-mairie-crepy-en-valois@wanadoo.fr qui nous a autorisé de publier l’estampe de Monsieur Tenré : l’archer.
Documentation :
Mattias Burgé, Mémoire Paris I Sorbonne, « L’incroyable oubli de René Bazin » septembre 2011
« Le Cardinal Lienart, biographie, » de Catherine Masson, ed. Cerf, 1968
« Lille, Roubaix, Tourcoing, histoires et Traditions « , de Paul Delsalle, éditions Corlet
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