Le beau texte de Monique CATTA qui suit a été lu à Rome sur la terrasse du couvent Villa Angeli, via Paolo Bentivoglio, à l’occasion du voyage organisé par l’Académie des Belles Lettres, Sciences et Arts d’Angers le 11 octobre 2013.
« Il ne faudrait pas visiter Rome. Il faudrait l’habiter, la contempler à ses heures de suprême beauté, et lui dire des mots d’amour dont une ville à l’air de sourire comme une femme… Ce sont là des moments rares, imprévus que les guides sont impuissants à préparer, dont la douceur prend l’âme, tout au fond »(1)
René Bazin est fasciné par l’Italie dans la pure tradition du « Grand Tour » cher aux amateurs d’art, collectionneurs et écrivains du XIXème. Il a multiplié ses séjours et voyages en Italie, et tout spécialement à Rome, enrichissant autant la littérature que la diplomatie dans la période mouvementée du début du XXème siècle.
A peine âgé de 30 ans, il est, dés 1880, correspondant à l’Osservatore Catholico et y tient une « Chronique de Paris » (jusqu’en 1888). Il «subit l’ensorcellement de cette ville unique ! Comme on comprend les peintres ou les âmes fatiguées et rêveuses qui sont venues à Rome pour trois semaines et ne l’ont plus quittée !»(2), et il conclut ses récits sur Rome par ces mots : « La beauté de Rome est inépuisable. Aucun artiste ne l’a vue et n’a espéré la dire toute » !(3)
De tous ses voyages, à travers sa correspondance, ses carnets, il rapporte de merveilleux croquis de paysages – Sicile, Croquis italiens en 1893 ; il analyse de façon pertinente « Les Italiens d’aujourd’hui » en 1894 ; il devient le témoin privilégié des relations entre la France et le Vatican entre les deux guerres ; enfin, on peut dire qu’il est la source majeure d’informations pour les journalistes et écrivains catholiques jusqu’à sa disparition en 1932.
Il vit intensément à chaque voyage la transformation de Rome, le long du Tibre entre Sainte-Marie Majeure et Saint-Jean de Latran. Ses récits augmentent considérablement son œuvre, il y est à la fois journaliste et romancier. «Les œuvres d’art ne se racontent guère. Il en est autrement d’un trait de moeurs, d’une conversation sur un fond d’actualité, d’une institution locale oubliée par les guides et les voyageurs »(4) ; il témoigne d’une curiosité insatiable et d’une grande empathie envers les romains des plus simples aux plus influents. Il rencontre «des gens qui ne sont étonnés de rien… Vous croyez leur apprendre quelque chose, mais ils en savent déjà la moitié ou bien s’en doutaient… »(5)
A la fois invité de marque dans les palais, il n’hésite pas à monter à cheval dans les quartiers pauvres, très préoccupé par la propagation de la malaria depuis les marais autour de Rome, l’Agro Romano qui n’ont commencé à être asséchés que vers les années 1887.
Non seulement sociologue, il est aussi le peintre ébloui de la lumière romaine : Depuis Saint-Jean de Latran il évoque : «des ombres bleues, des toits de maison qui ne sont que de longues lignes d’azur, des courbes infiniment pures, des coupoles s’élevant sur le Ciel qui est léger, couleur d’or pâle, pareil aux auréoles byzantines ».(6), et la campagne romaine est pour lui «une harmonie de lumière que les mots ne peuvent rendre » !(7)
Mais à chacun de ses voyages, René Bazin renforce aussi ses relations avec la Papauté, jusqu’à y jouer un rôle diplomatique d’influence. Il fut un lien privilégié français avec le Saint-Siège sous les Pontificats de PIE X (1903-1914) (8) de BENOIT XV (1914-1922) et même de PIE XI (1922-1939).
Le 14 mars 1914, René Bazin est à Rome et «tout de suite il se rend compte de la crainte révérencielle dans laquelle on vit en Italie à l’égard de l’Allemagne ».(9) Il s’inquiète de voir la position de la France incomprise et même discréditée par les Italiens. Il multiplie les rencontres avec laïques et religieux, et le 20 Mars 1914 l’entretien avec Benoit XV porte sur la guerre. René Bazin informe le Souverain Pontife de ce que les Allemands avaient fait de la Cathédrale de Reims «en le suppliant de ne pas refaire la politique du ralliement »(10)
Durant toutes ces années, l’Académicien renforce son rôle de représentant de l’ensemble des écrivains et journalistes catholiques français. Président du Bureau Catholique de la Presse, (précédemment « Corporation des Publicistes Chrétiens »), il anime leur revue «Les Nouvelles religieuses» qui fournissait aux journaux catholiques de tous les pays des éléments d’informations de première main et qui était très prisée à Rome.
De retour à Angers, le tropisme italien a marqué définitivement René Bazin. Avec ses amis, romains comme lui, Pierre de NOLHAC ou Henry BORDEAUX il gardera la mémoire vive de ses voyages à Rome, évoquant alors «la lumière romaine de la Loire, qui en cette partie du fleuve ainsi que dans la Touraine a une douceur italienne.»(11)
Monique CATTA
1) Les Italiens d’aujourd’hui Ed. Calmann Lévy 1894 p.119
2) Les Italiens d’aujourd’hui .Ed. Calmann Lévy 1894 p.120
3) Carnet 24 , Arch.Dép. F.5033, le 25/03/1916.
4) Carnet 42. Arch. Dép.F 11916 .1889
5) Les Italiens d’aujourd’hui Ed.Calmann Lévy 1894 p.122
6) Les Italiens d’aujourd’hui , Ed. Calmann Lévy 1894 p.120
7) Les Italiens …p.143
8) Il en écrira une biographie PIE X parue en 1916
9) Tony Catta : Un romancier de vraie France Ed. Calmann Lévy 1936 p.144
10) Tony Catta : Un romancier ….. p.145
11) Paysages et Pays d’Anjou, Ed Bruel 1926 p.16.
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