Un monastère de Saint Pierre Fourier, les Oiseaux

Saint Pierre Fourier, fondateur de la congrégation Notre Dame (canonisé en 1897 par le Pape Léon XIII).

La présentation ci-dessous provient du chapitre V du livre « Un monastère de Saint Pierre Fourier, les Oiseaux », dernier ouvrage écrit par René Bazin en 1932. L’auteur était spécialement attaché à cette congrégation religieuse enseignante. En effet, l’une de ses filles, l’une de ses nièces et plusieurs de ses petites-filles comptaient alors parmi les Religieuses ou les pensionnaires de Westgate on Sea, dans le sud de l’Angleterre, suite à la loi anticléricale d’expulsion des congrégations enseignantes en juillet 1904. Le chapitre intitulé « La Règle » est reproduit ci-après, reprenant de nombreuses citations de Saint Pierre Fourier, chanoine de Saint Augustin (1565-1640), et fondateur de ce monastère des « Oiseaux », branche féminine enseignante,  proche de l’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes, créées par St Jean Baptiste de la Salle.   

 

Celui qui fonde montre son âme. Mais nul ne la montre mieux, jusqu’en ses profondeurs, que celui qui fonde un Ordre religieux : car il ne peut manquer de dire, avec sa foi en Dieu, la connaissance qu’il a de soi-même, et de son pro­chain, et des besoins de l’Eglise militante toujours au péril, toujours secourue. Le style même de sa Règle doit révéler la culture du fondateur, et son caractère ; il le rend présent, à ceux qui savent lire.

Cela est vrai de la Règle des Filles de Notre-Dame, comme de toutes les grandes Règles monastiques. Aucune n’a été improvisée. Celle de Pierre Fourier fut méditée et corrigée pendant quarante années. Elle est abondante, au point de former un volume entier, divisée logiquement, sans ornement, œuvre due, comme toutes les grandes œuvres, à la collaboration de Dieu et de l’homme, car la doctrine, la pureté, l’ardent amour des âmes, la miséricorde universelle, mille traits de belle lumière y sont de Dieu, qui laisse paraître et s’exprimer la nature de l’homme, en dirige l’intention, et, la tenant élevée et près de Lui-même, la respecte cependant, et n’efface point ce que l’homme a fait.

Cet esprit, recueilli par les premiers disciples, transmis par eux, se perpétue dans les Ordres monastiques. Après des siècles, nous avons devant nous, dans les hommes ou les femmes que ces Règles antiques ont formés, dans leurs coutumes, leurs œuvres, leur parole ou leur style, parfois même dans leur physionomie, l’image reconnaissable des saints fondateurs, animateurs d’un peuple incessamment renouvelé. L’air de famille est ici très fréquent, et le portrait de l’ancêtre spirituel n’a pas besoin d’être pendu aux murs : il vit.

Si l’homme paraît, dans l’ouvrage divin de la Règle, il n’a cherché cependant qu’à s’effacer. La première condition de la sainteté est l’humilité. Saint Pierre Fourier était extrêmement humble, et l’on ne saurait trouver, dans le volume des Consti­tutions, une ligne où il ait voulu mettre sa signa­ture, où l’on pourrait supposer qu’il se soit complu : pourtant, ceux qui ont coutume de lire ne se trom­peraient pas, en étudiant les Constitutions de Pierre Fourier, et découvriraient une volonté sans rudesse, un équilibre très lorrain, une finesse, une bonhomie, une tendresse de cœur, qui fit beaucoup souffrir ce grand homme et le fit beaucoup aimer.

Dès que Dieu inspire une œuvre ou un acte, sa grandeur le décèle. Il est présent dans chaque article de cette Règle, ou nommé, ou facile à deviner sans qu’on le nomme, car II est reconnaissable dans les plus petites recommandations de la charité, et dans la suavité qui fait partie des perfections divines.

Quand Pierre Fourier décrit le monastère idéal, celui qui, n’importe où, n’importe quand, doit abriter ses Filles, il dit : « Si ce lieu divin n’est pas tout à fait une espèce de ciel, et qu’il faille absolument l’appeler terre, parce qu’il est sur terre, c’est une terre sainte,… une terre en laquelle on ne doit faire que des œuvres de saintes,… spécialement dédiée à l’entretien des saintes,… et qui forme des saintes. »

Voilà ses Filles entrées et logées dans un lieu béni. Et, pour « s’assurer de ne point descendre de ce lieu si élevé », Pierre Fourier leur dit : « Ces vierges se ressouviennent qu’elles ont transporté leur cœur en Dieu », de sorte que « leur conversation et demeurance est maintenant ès-cieux ». Il veut que ses Filles enseignantes aient l’âme d’une vierge et le cœur d’une mère.

Et cette sanctification, qu’il demande aux maîtresses, il la propose aux enfants qu’elles instruiront, car si, dans ses monastères d’enseignement, aucune étude « utile et séante à des Filles » n’est laissée de côté, la grande science qu’il se propose de donner aux filles instruites par les Filles de Notre-Dame, c’est l’intelligence de la vie. Il sait que toute éducation qui ne va qu’à l’enrichissement de l’esprit, est manquée, et qu’il n’y a de parfaite que celle qui n’oublie pas, en chacun de nous, l’éternel, et, préparant les âmes pour le moment de la vie présente, les prépare ainsi, et d’abord, pour toute leur destinée, laquelle n’a point de fin.

Les religieuses que la vocation appellera dans les monastères de l’Institut, « y prennent parti de mener une vie toute sainte et agréable à Notre Seigneur… et fructueuse et utile au public ; et, dans ces intentions, de s’employer assidûment au service de Dieu, à leur salut,… et à l’aide du prochain, en tant qu’il se pourra, et ce, sous la règle de saint Augustin, le nom et l’invocation, l’exemple et la protection de la glorieuse Vierge Marie ».

« Or les sacrés moyens dont elles se servent, ten­dant à cette fin, sont, avec la grâce de Dieu, l’ins­truction gratuite des jeunes filles1 , la profession de cette instruction, et des trois vœux essentiels de l’état régulier : pauvreté, chasteté, obéissance ;… la clôture, l’office divin tout entier, l’oraison mentale, la confession, la Sainte Communion, une grande méditation (demi-heure le matin et demi-heure le soir) ; une lecture spirituelle, sans préjudice des examens de conscience, de la visite au Saint Sacrement et du chapelet quotidien… »

Le chapitre de l’obéissance débute également en grandeur. Fourier avertit ses religieuses que « la sainte obéissance est le premier et principal des trois vœux solennels d’une Religion » et que « Notre Seigneur s’est fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix » ; … qu’il a rendu ce devoir à sa mère et à saint Joseph, qui étaient ses créatures néanmoins… Elles la chériront uniquement, et l’embrasseront du profond de leur cœur, estimant qu’elle est plus précieuse et plus agréable à Dieu que pas une de leurs victimes qu’elles ne sauraient jamais lui présenter, étant icelle fille d’humilité, nourrice de charité, compagne de justice, gardienne et maistresse de toutes les vertus religieuses, ennemie de la propre volonté, mère d’accord et bienveillance fraternelle, port d’assurance et de tranquillité… »

Le principe est haut; il faut l’humaniser, le personnifier dans une créature, et le saint dit à ses religieuses :

« Elles s’habitueront à considérer la personne de Notre Seigneur en celle de leur Supérieure, et à croire que c’est Dieu même qui parle à elles par la bouche d’icelle : et que tout ce qu’elle leur commande, ou désire d’elles, sont autant de nouvelles, et d’ordonnances, qui leur viennent tout justement du ciel… »

La Supérieure a tout d’abord été avertie, par Pierre Fourier, de l’esprit d’humilité dans lequel elle exercera sa charge : « Elle ne portera jamais le nom d’Abbesse, ni de Prieure, ni de Dame, qui peuvent être bienséants à des religieuses d’autres Ordres, pour de bonnes raisons,…. mais s’arrêtera simplement à ce beau nom de Mère, puisque c’est le titre le plus naturel, le plus doux, le plus aimable, le plus plein de bienveillance et d’affection, le plus plausible… » Lui-même, il aime donner ce beau nom à la Supérieure : « La Mère sera vigilante… La Mère contraindra amiablement… La Mère ne permettra pas que brèche se fasse ès-Constitutions… »

Humble, obéissante elle-même à l’esprit et à la lettre, elle peut commander. Comment les Sœurs obéiront-elles? La Règle doit guider la pratique ; « Elles seront donc ponctuellement promptes à se mettre au devoir, et courir vitement et sans aucun délai, à tout ce qu’on leur commandera, quittant toute autre sorte d’ouvrages qu’elles pourraient avoir commencé ; jusqu’à laisser même le trait, ou le point d’un petit i, imparfait, si alors elles écrivaient, et ne prendre le loisir de décharger leurs mains de paste, ou de farine, si, quand elles s’entendent appeler,… elles avaient leurs bras dans la maix, y pétrissant la paste… »

«  Une partie de leur dévotion s’étudiera à prendre garde que leur obéissance soit entière, en y accomplissant tout ce qui leur aura été ordonné… Et qu’elle soit toute pure : n’y admettant point de leurs propres intérêts, ni d’autres considérations humaines ; et ne faisant les choses commandées pour ce qu’elles leur plaisent et leur conviennent bien; et ne faisant, au reste, point de distinction des Supérieures, en obéissant plutôt ou plus volontiers, ou plus dévotement, à celles qui leur sembleront meilleures, ou plus adroites, ou qui les affectionnent. Elles mettront toute leur dévotion en ce que la voix de leur Supérieure, quand elle leur commande quelque chose, est la voix de Dieu même… »

« Elles y observeront une toute grande simplicité, et parfaite soumission, et sainte humilité, et ne discuteront, en façon que ce soit, ce qui sera commandé. N’examineront si c’est chose nécessaire, ou utile, ou séante, ou fondée en raison… Elles se laisseront conduire partout où l’on voudra, ainsi que des aveugles ou des folles (devant le monde, mais sages devant Dieu), ou comme des petits enfants qui n’y connaissent rien…

» Elles s’étudieront, en outre, que ce soit joyeuse­ment et gaiement en Dieu; mettant tout leur bonheur, leurs délices, leurs contentements et leur joie spirituelle, à faire ainsi par obéissance ce que Dieu désirera d’elles… »

« Elles se montreront vaillantes et courageuses pour se mettre en devoir d’entreprendre, hardiment et confidemment en Dieu, toutes les choses qui leur seront commandées, quoique difficiles en apparence… Leur obéissance sera générale…

Elles ne procureront ni directement, ni indirectement de tirer la volonté de leur Supérieure à la leur propre… Elles montreront la perfection de leur obéissance, non seulement lorsque la Supérieure, ou autres, ayant autorité d’icelle, leur notifiera expressément leur volonté, par paroles, par signes, par message, ou autrement, mais aussi elles la montreront, au son de la cloche, à l’horloge, et à tout autre signal, qui se donnera pour aller à l’église, aux écoles, à l’ouvrage, à l’examen, à la prière… »

Cette intime connaissance de la vertu qu’il enseigne, cette analyse subtile des mouvements de notre nature, ou de notre volonté, qui s’y peuvent opposer ou tenteraient d’en diminuer la qualité, on les retrouve dans toute la Règle de saint Pierre Fourier, et, par exemple, au chapitre de la pauvreté, qui est tout merveilleux, dans ceux qui traitent de la clôture, du silence, de l’office divin, de la charité mutuelle, de l’union des monastères.

La marque d’un esprit puissant et original nous saisit l’âme et souvent l’émeut, à la lecture de ce guide de la perfection religieuse.  Sans doute,  le res­pect de l’autorité publique,  le souci de la paix de la patrie et du monde, la prière pour les défunts se ren­contrent, puisque ce sont là des devoirs chrétiens, dans d’autres Constitutions que celles de Pierre Fourier. Mais l’invention qu’il a eue, à ce propos, et la belle ordonnance qui suit, doivent être signalées. Le chapitre III de la troisième partie est intitulé : « Devoirs envers les grands. » Et l’imagination ne nous présente point, au seul prononcé du titre, le trésor de respect, de patriotisme et d’esprit familial qu’on découvre en le lisant. Pierre Fourier enseigne à ses religieuses qu’elles doivent « profiter », par leurs prières et bonnes œuvres, à toutes sortes de personnes, spécialement à quelques-unes, auxquelles elles ont plus d’obligations. Et ces personnes sont au nombre de six : les grands de l’Église ; les grands du monde, c’est-à-dire ceux de qui dépendent « la tranquillité de toute l’Eglise et le repos des peuples » ; les pays où les Filles de Notre-Dame ont été reçues ; les villes où sont leurs monastères ; leurs bienfaiteurs ; les pères et mères qu’elles avaient au monde ». Il ordonne que tous les jours, et en chaque monastère, deux religieuses, ou trois, ou quatre, si le nombre des moniales est suffisant, offrent toutes les bonnes œuvres de leur journée et prient particulièrement pour les Grands de l’Eglise ; deux autres pour les Grands du monde, desquels dépend le repos des peuples; deux autres pour les royaumes qui donnent asile à Notre-Dame; deux pour les villes où le monastère est situé ; deux pour les bienfaiteurs ; deux pour les pères et mères des religieuses.

Distribution faite par un Juste! Magnificence d’un pauvre! Les royaumes et les villes, s’ils avaient toujours l’esprit éclairé, comprendraient que cette garde auxiliaire leur est encore plus nécessaire que l’autre. Ils admireraient cette gratitude des âmes saintes, qui, en retour d’un bienfait, rendent plus qu’elles n’ont reçu. Les États s’appauvrissent en ne croyant pas aux anges.

Et cela est si vrai, que la charité d’ordre public, ainsi prévue, n’est nullement épuisée par cette abon­dance de prières quotidiennes que nous venons de noter. Elle s’augmente, si la Supérieure l’ordonne, des prières et communions des écolières ; elle s’émeut, elle deviendra plus pressante, « quand il se présentera quelque chose de grand, qui touche au public, comme serait la maladie du souverain, ou les apparences ou menaces de guerre, ou de peste, ou de famine, ou d’autre affliction commune au pays ou à la ville ». Alors, les religieuses, les enfants « dresseront ensemble toutes leurs prières, et communes et particulières, leurs communions et leurs pénitences, et autres bonnes œuvres qu’elles pourront, à ce qu’il plaise à Dieu, par sa sainte miséricorde, prendre pitié du peuple et détourner ces espèces de fléaux».

Grandeur encore, et vraiment magnifique, dans cette obligation que fait la Règle, aux religieuses, de suivre, chaque jour, l’office divin tout entier, et de réciter le bréviaire, comme des prêtres. Par là, elles sont associées, d’une étroite façon, à la vie de l’Église ; elles acquièrent une connaissance parfaite de la liturgie, le sens de la prière universelle, et, ce qui n’est pas peu, pour de pareils objets, l’habi­tude du latin. L’une d’elles nous disait un jour  : «Quand je suis venue à la Règle de Saint Pierre Fourier, je ne croyais pas entrer au Carmel. » Il y a du Carmel, en effet, dans cette vie contemplative en même temps qu’active et enseignante. Marthe et Marie sont devenues une seule femme, qui s’inter­rompt de méditer et d’adorer pour se pencher sur le cahier d’écriture d’une petite fille.

Le grand Office est, pour elle, la paix, et la force. Elles peuvent se dire : « Nous sommes mission­naires, et romaines, et mêlées à la prière solennelle que l’Eglise ne cesse d’adresser à Dieu pour le salut du monde. » Telle a été la pensée singulièrement belle, et neuve, on peut le dire, de Pierre Fourier, qui savait bien qu’il rehausserait les âmes de ses Filles en écrivant, dans sa Règle, qu’elles prieront ainsi « pour un nombre infini de personnes de toute qualité,… pour les vivants, les trépassés,… les pays,… et toute la sainte Eglise, qui les a établies pour, en son nom, chanter les louanges de Dieu,… traiter avec Lui de diverses affaires de très grande importance, à savoir, du royaume des cieux et de l’éternité, des pardons pour les pauvres pécheurs, et de tout ce qui est nécessaire au reste de la vie présente, pour l’âme et pour le corps ».

Cette récitation du Grand Office ne peut manquer d’avoir une répercussion heureuse sur l’éducation des enfants. La vie liturgique, puisée par les Mères dans le bréviaire romain, se communiquera néces­sairement aux enfants, qui respireront mieux que d’autres l’air divin de l’Eglise. Les fêtes religieuses auxquelles les enfants participeront, seront, pour leurs âmes, d’une valeur éducative et formatrice infi­niment précieuse.

Certaines autres pages de la Règle sont de vrais poèmes, et, par exemple, celles qui exaltent la chasteté. «C’est une couronne d’anges que la chasteté, c’est une gloire d’anges, ce sont de vrais cœurs d’anges sur terre, que ces Vierges de Dieu, ces saintes épouses du grand Seigneur des anges, ces très chères filles de la Mère de Dieu, lesquelles ont déjà maintenant leur demeurance au ciel, et, sans presque toucher terre, s’emploient continuellement en des ouvrages d’anges, en vivant purement et chantant si dévote­ment les louanges de Dieu, et en gardant, à la façon des anges, les jeunes filles, et les instruisant et con­duisant fidèlement droit au chemin du ciel.

«  Elles garderont, avec toute sorte de soin et de diligence, et circonspection, leur cœur virginal, et leurs yeux de colombes, et tous leurs autres sens, en sorte qu’iceux et toutes leurs pensées, leurs affections, leurs paroles, leur vivre, leur vie, leurs mœurs et leurs déportements soient toujours candides, sin­cères, très purs et vierges devant Dieu comme le sont leurs corps.

« Elles fuiront toutes délicatesses et mignardises, et façons affectées en leurs paroles, en leurs habits, en leurs personnes, et ne se serviront de miroirs, ni d’eaux artificielles à se laver, et ne porteront sur elles musc, ni pommes de senteur, ni bouquets, ni gants, ni bagues… Elles ne laisseront paraître ni croître leurs cheveux… »

Et jusqu’où ne va-t-il pas, ce clairvoyant ami de toute pureté ! Écoutez : « Elles ne toucheront jamais le visage des filles, ni même aussi leurs mains… Elles se tiendront toujours encloses dans leurs chaires, en sorte que les habits des écolières qu’elles recoivent ne puissent toucher les leurs, et lorsqu’elles se trouveront contraintes de se tenir hors de leurs chaires, pour enseigner les écolières à travailler, ou écrire, ou pour quelque autre occasion présente, elles tâcheront de s’y comporter avec tant de dextérité que leurs habits ne soient touchés de ceux des filles séculières, s’il est possible, et que néanmoins les dites séculières, si faire se peut, ne sachent que l’on fuit ainsi, du côté des religieuses, l’approche des habits. »

La finesse du vieux curé de Mattaincourt, du vieux voyageur qui a tant couru le monde, prévoit les occasions en apparence les plus innocentes, et qui peuvent cependant, sous un air maternel, offrir à des vierges consacrées, un danger de mondanité, de retour et d’alanguissements : « Elles se garderont de prendre plaisir d’attifer elles-mêmes leurs écolières, les ordonner, les parer, et seront soigneuses, au reste, dans le gouvernement et conduite d’icelles, d’y observer exactement toutes les ordonnances qui leur en sont prescrites ès-Règles des écoles. »

Ce règlement des écoles, divisé en deux parties, l’une pour les externes de l’école gratuite, l’autre pour les pensionnaires, est plein de traits de la même sorte, qu’il s’agisse des religieuses préposées à l’instruction, ou de leurs élèves. L’esprit d’ordre y domine. Pierre Fourier aurait fait un préfet de discipline modèle. Il sait et il dit comment la maîtresse doit tenir sa classe, comment elle peut intéresser les enfants, leur inspirer l’émulation, — il y a même, dans ce vieux document, un passage sur « le banc des victorieuses », c’est-à-dire des écolières modèles, qui dut être écrit avec le sourire ; — il insiste, comme il convient, sur l’enseignement de la doctrine chrétienne, puisque toute la vie dépend de ce point, mais cet homme qui aime la prière, et la veut faire aimer, se rend compte, à merveille, que les forces jeunes, pour être développées, doivent être ménagées, et lui, le perpétuel méditant et le travailleur sans répit, il écrit que la Mère Préfète aura grand soin de la santé des écolières, qu’ « elle prendra garde qu’elles ne fassent de grandes veillées, ni de longues méditations, ni de prières vocales trop prolixes, ni d’exercices trop violents, ou du corps, ou de l’esprit, qui puissent les incommoder »…

Il veut qu’elles soient, dans le monde où elles rentreront, des femmes « capables de faire de grands biens». Et cela est dit en une longue phrase articulée, fort pleine, qu’une autre suit, plus éclatante, chargée d’une couronne, et si juste qu’on ne peut, l’ayant lue, l’oublier.

Saint Pierre Fourier observe donc que les écolières « quoique petites d’âge, ne sont pas pourtant une petite ou vile partie de l’Eglise de Dieu, déjà dès maintenant, et, dans peu d’années, pourront être capables de faire de grands biens. Au sujet de quoi, il est très expédient, voire tout nécessaire, pour le bien d’elles-mêmes, et de leurs pères et mères, et des familles qu’elles gouverneront avec le temps, et de la république, qu’elles soient de bonne heure bien dressées, et bien soigneusement instruites en la crainte de Dieu, et quand, s’il est possible, en quelques autres choses, qui les puissent aider à vivre et bien vivre. Ce qui ne leur peut être enseigné plus commodément, ni plus facilement, ni plus parfaitement, ni plus profitablement, ni avec plus d’assurances et moins de frais, et de danger, que par des autres filles, et des filles bien vivantes, et en nombre, et en capacité suffisante pour s’en bien acquitter, et qui demeurent ensemble, et, n’ayant point d’autres affaires à démêler propres à les distraire, ou à les empêcher, et qui soient désireuses, et toutes dédiées à rendre du bon service à Dieu, et au public, en ce saint exercice… »

Elles doivent élever ainsi, parfaitement, sainte­ment, mais pour le monde, des jeunes filles qui, pour la plupart, doivent y vivre. On leur recommande même, dans les Constitutions, de « n’entremêler » à leur enseignement, rien de « ce qui est propre à. la vie religieuse ».

On le voit, ce seront des mères, infiniment délicates, attentives, et souvent plus joyeuses que les mères selon la nature, parce que l’acceptation de la pauvreté monastique les défend contre bien des soucis. La joie se joue à l’aise dans les cœurs libérés du monde. Ces cœurs dépouillés de tant de vanités, et d’eux-mêmes, sont aptes à se donner. Ils auront donc, selon le beau mot de Fourier, une « dévotion pour les âmes d’enfants » ; ils les aimeront « pour ce qu’il y a de grâce divine » en elles ; ils les aimeront « comme le temple saint où Dieu habite ».

Pour le programme des études profanes, il est libre. Les Supérieures, s’il s’agit d’instruction, la doivent adapter aux besoins du temps. La Règle n’a prescrit de méthode qu’aux premières Filles de l’Institut, et même, — la formule est jolie, — « jusqu’à ce qu’elles en aient trouvé une autre plus propre, plus utile et plus parfaite ». Chacune des Mères qui dirige un monastère de Notre-Dame étudiera le vœu des parents, le progrès de l’expérience en divers pays et principalement dans le nôtre, et pourra suivre, en ce qu’il a de raisonnable, le goût des générations nouvelles. Chacune sera de son temps.

Ainsi, par la Règle, tout semble prévu, et la liberté reprend ses droits, là où Dieu n’a pas les siens marqués. Les plus modestes emplois ne sont pas oubliés. On dirait qu’ils sont vus du haut du Paradis. L’intention, le dévouement, l’obéissance les magnifient à tour de rôle.

Pierre Fourier dit, par exemple, de la religieuse préposée au vestiaire : « En rendant cette espèce de service à Notre Seigneur, ès-chères personnes de ces vierges choisies, elle y procédera avec tant de charité, de promptitude, de zèle,… que les Sœurs connaîtront qu’elle y est conduite de l’esprit de Dieu, et qu’elle a continuellement devant les yeux la dévotion avec laquelle la Bienheureuse Vierge Marie tissait la robe sans couture et les autres habits pour le Sauveur du monde. »

Il dit, de la cuisinière, qu’elle devra se souvenir « qu’elle apprête des viandes pour Notre Seigneur même ».

Il dit que la boulangère « ayant la charge de faire le pain, principale nourriture de ces anges terrestres, qui travaillent jour et nuit chez la Mère de Dieu, emploiera toute son industrie et sa dévote diligence à le bâtir ainsi qu’il appartient pour de si dignes bouches ».

Les recommandations sont plus nombreuses encore, on le devine, qu’il adresse aux infirmières. L’infirmière « détournera, autant qu’il sera possible, tout ce qui pourrait nuire à ces pauvres malades, ou les incommoder, et procurera discrètement…, tout ce qu’elle estimera pouvoir être plus propre pour les consoler, et les aider, pour l’âme et pour le corps.

» Elle pourvoira que chaque malade…, soit promptement et charitablement servie à toute occa­sion, et spécialement que son lit soit bien fait ». Que cela est donc justement pensé, et quels souvenirs sous-entendus de tant de lits d’auberges ! « Elle s’étudiera de ne rien omettre de ce qu’elle pourra, de son côté, pour les récréer et les consoler… Elle y emploiera toute sa douceur. Pour la consolation et récréation des malades, elle procurera discrètement qu’es infirmerie soient quelques belles images, et quelquefois des fleurs, de la verdure… »

Ainsi a été préparée l’âme de la vierge enseignante, humble, obéissante, pauvre de tout, sauf de la grâce. L’auteur de la Règle pouvait mourir. Son corps est à Mattaincourt. Son esprit continue de vivre, depuis trois siècles, dans ses Monastères.

1. Partout où elles ont un monastère, les Chanoinesses de Saint-Augustin se sont toujours efforcées d’établir une école populaire, où l’instruction est donnée gratuitement. J’ai connu celle de la rue de Sèvres, attenant au pensionnat des Oiseaux, à Paris, et je connais l’école populaire de Westgate on Sea.

 

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