Baltus le Lorrain: Sources

IL Y A 50 ANS AUX ORIGINES DE « BALTUS LE LORRAIN  » DE RENÉ BAZIN
Par 
Antoine SUTTER
(Nous présenterons par ailleurs une biographie du chanoine Antoine Sutter)

Repris des Editions Le Lorrain METZ 1977

 

Il n’est pas trop tard pour rappeler dans quelles conditions parut, il y a 50 ans, le roman de l’académicien René Bazin « Baltus le Lorrain » qui fit connaître au grand public certaines difficultés qu’éprouvèrent les catholiques mosellans après 1918 (1),

M. Henri Hiegel a étudié il y a vingt ans les rapports entre ce roman et la Lorraine de langue allemande (2) et il s’est demandé quels étaient les informateurs du romancier. Il n’a pu résoudre ce problème que partiellement. Nous sommes en mesure maintenant de répondre entièrement à cette question.

Mgr Pelt joua un certain rôle dans son élaboration. Mais la véritable cheville ouvrière fut une dame de Creutzwald~la-Croix, Il n’est pas trop tard pour rappeler dans quelles conditions parut, il y a 50 ans, le roman de l’académicien René Bazin « Baltus le Lorrain >> qui fit connaître au grand public certaines difficultés qu’éprouvèrent les catholiques mosellans après 1918 (1),

M. Henri Hiegel a étudié il y a vingt ans les rapports entre ce roman et la Lorraine de langue allemande (2) et il s’est demandé quels étaient les informateurs du romancier. Il n’a pu résoudre ce problème que partiellement. Nous sommes en mesure maintenant de répondre entièrement à cette question.

Mgr Pelt joua un certain rôle dans son élaboration. Mais la véritable cheville ouvrière fut une dame de Creutzwald~la-Croix, Mme Georges Quinchez, née Marie Schlincker (3). Origi­naire de Sarrelouis, elle avait quitté le pays au début de l’annexion après un mariage avec M. Quinchez, contrôleur à la Banque de France de Bordeaux. Ayant suivi plus tard son mari à Lorient, elle entra en relation avec les maîtres de l’Université catholique d’Angers dont l’un était son parent et où René Bazin enseignait. Après la guerre de 1914-1918, la famille revint s’établir à Creutzwald (4). Marie Quinchez était une catholique à l’âme de feu comme une ardente patriote. Lisant beaucoup, recevant avec plaisir, elle faisait preuve en toutes occasions de beaucoup d’entregent.

Au moment où l’on voulut introduire dans les écoles de Moselle et d’Alsace les lois laïques, son sang ne fit qu’un tour. Elle s’engagea dans le combat à sa manière mais avec une fougue digne des catholiques de l’Ouest qu’elle avait beaucoup fréquentés. Elle éprouvait une particulière répulsion pour le ministre Lafferre (5). Immédiatement il lui sembla qu’un bon roman de René Bazin, dont les livres étaient autant de best-sellers (6), serait excellent pour sensibiliser la France catholique aux problèmes particuliers de la Moselle. Elle reprit donc contact avec l’académicien non sans avoir eu un premier feu-vert de Mgr Pelt. Une partie de la correspondance des trois personnages nous est conservée aux archives de l’évêché (7)

La phase préparatoire. Constitution d’un dossier. Voyages de Bazin en Moselle.

Mme Quinchez s’empressa aussitôt de constituer un dossier de renseignements pour le romancier. Avec Mgr Pelt, avec des membres du corps enseignant et du clergé qui avaient été déportés par les Allemands pendant la guerre, avec des patriotes comme Prével, Pincemaille et Berga elle entra en relations ou entretint une correspondance.

En juin 1923, Bazin vint pour la première fois en Moselle avec sa petite-fille Térèse René-Bazin, âgée de 20 ans. ïl avait donné rendez-vous à Mgr Pelt dans le train qui ramenait l’évêque du Congrès eucharistique de Paris. A Metz, entre-temps, un cicérone avait été trouvé pour l’écrivain. Mgr Pelt avait d’abord pressenti le chanoine Louis Muller dit «Beau Muller», supérieur de Saint-Clément, mais celui-ci se déroba (8). Finalement l’abbé Ritz, directeur du « Lorrain » accepta et Mlle Lacroix, responsable des Ligueuses, se chargea de Térèse. Et c’est ainsi que l’on possède quelques photos jaunies où l’on voit M. Bazin, vieux Gaulois aux longues moustaches, avec col à la Capoul et chapeau melon, en pleine action dans la cour de l’orphelinat de la Providence dont Ritz était l’aumônier. Le romancier avait demandé à voir Metz de manière à en avoir une vive image ainsi que deux ou trois maisons de campagne dans les environs (on le conduisit à Frescaty, Jouy et Gorze). Il voulait aussi se rendre compte des divergences d’idées qu’avaient laissées dans la société lorraine une domination allemande de 50 années. Il désirait visiter la cathédrale et voir le Graouilly. Enfin il avait insisté pour qu’on lui épargne des réunions mondaines car il devait ménager sa santé.

Après son départ, Mme Quinchez exulte. « Barrés, écrit-elle à l’évêque, avec « Colette Baudoche » et « La Colline inspirée », a oublié la Lorraine catholique annexée qui aura enfin son roman. Avec cela on va barrer la route à M. Herriot et à ses sectaires ! » Elle demande à Mgr Pelt quel nom donner au héros principal du livre : Baltus, Harelle ou Collin ? Finalement on retiendra Baltus, nom d’une vieille famille messine (9). Quant à Bazin qui avait d’abord hésité à écrire sur notre région croyant que tout avait été dit, il est maintenant convaincu du contraire au vu du volumineux dossier remis par Mme Quinchez. En septembre 1924, l’écrivain revient à Metz. Il se proposait de descendre chez Moitrier, mais cette fois Mgr Pelt lui offre le gîte et le couvert à l’évêché. Bazin se rend aussi à Creutzwald. Son roman est déjà bien avancé. Quand il va ensuite à Saverne, villa About, chez Jean et Pauline de Pange auprès desquels sont également l’abbé Breuil et François de Curel, il peut leur lire quelques passages significatifs de son ouvrage (10).

A nouveau, en juin 1925, il est avec sa femme à Creutzwald « où il a cent choses à faire». Finalement «Baltus le Lorrain» paraît par tranches dans « La Revue des Deux-Mondes » à partir de décembre 1925, puis, en volume, en mars 1926 chez Calmann-Lévy. Un peu plus tard, Desclée en fera réaliser, à grands frais, une édition illustrée pour les maisons d’éducation.

« Battus le Lorrain »

Introuvable de nos jours en librairie et même dans les bibliothèques (11), le roman de Bazin raconte l’histoire d’une famille mosellane établie à « La Horgne-aux-Moutons » sur la route de Carling à Sarrelouis. Léo Baltus, veuf sans enfant, est le propriétaire de cette exploitation agricole. Il a deux frères : Gérard, prêtre, déporté par les Allemands pendant la guerre et Jacques Baltus, le héros du roman, instituteur à « Condé-la-Croix ». Pour ce dernier la guerre de 14-18 a été particulièrement cruelle. Son fils unique Nicolas, enrôlé dans l’armée allemande mais portant toujours sur lui un papier avec ces mots : « Je ne tirerai jamais un coup de fusil sur les Français », a trouvé la mort devant Verdun. Marie, sa mère, en a perdu la tête. Circulant dans la campagne, elle va de nuit comme de jour à la recherche de son fils disparu. Et voici que maintenant, la France étant revenue, d’autres difficultés surgissent… S’étant opposé, au sujet de l’introduction des lois laïques, à l’inspecteur Pergot lors d’une réunion d’enseignants à Saint-Avold, Jacques Baltus est menacé de déplacement. Tendant le dos, il fait faire aux élèves de sa classe une dernière dictée : «La France s’est trompée de catéchisme… Elle a besoin de la Lorraine comme la Lorraine a besoin de la France ! ».

L’impact du roman

Pour la critique catholique de l’époque « Baltus le Lorrain » était « un roman social montrant admirablement les ravages causés en Moselle par la menace de lois antireligieuses». «Le Lorrain» n’en fit pas un plat. Il se félicita simplement de ce que le livre, complément aux ouvrages de Barrés, vînt succéder au dyptique alsacien de Bazin : « Les Oberlé » (1901) et « Les nouveaux Oberlé » (1919). Quant au « Messin », autre journal — mais libéral — de la rue des Clercs (12), il prit l’affaire plus au sérieux. Après en avoir largement annoncé la parution, il se montra déçu. Il reproduisit in extenso la critique de l’anticlérical Paul Souday dans « Le Temps » qui, tout en trouvant l’ouvrage remarquable, attachant, d’un style aisé, harmonieux, fluide, un peu à la manière de George Sand, le qualifiait de partial et de tendancieux. Faisant un amalgame commode avec l’autonomisme — dont on parlait, mais dont les instigateurs du livre étaient insoupçonnables — il concluait : « Les Normands, lors des lois de Jules Ferry, n’ont pas parlé de restaurer leur duché ni regretté le temps anglais ! ». C’était aller un peu vite en besogne et faire peu de cas d’un drame encore tout chaud.

Le roman de Bazin n’en fera pas moins connaître largement une des questions qui préoccupaient alors les catholiques mosellans car il eut plusieurs éditions dès 1926 (13).

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  1. René Bazin. Né à Angers en 1853. Mort à Paris en 1932. Professeur à la Faculté de droit d’Angers en 1875. Passe à la littérature en 1884. A laissé une œuvre considérable et trop oubliée. Fut élu à l’Académie française en 1903. il était le grand-oncle de l’écrivain Hervé Bazin de l’Académie Goncourt,

2 H. Hegel, Renié Bazin et la Lorraine de langue allemande, dans Le Pays lorrain, 1957, p. 118-124.

  1. 3Sur les Schlincker, barons d’Empire et maîtres de forges et les Quinchez, voir : Nicolas Dicop, Creutzwald, carrefour de la Houve, Metz, 1968, pp. 64 et suiv. Nous tenons aussi plusieurs renseignements de Mme Odile Chevillotte de Metz, petite-fille de Mme Quinchez. Nous l’en remercions ici.

4Un de leurs fils, Georges Quinchez junior, fut sous-préfet de Bouïay après .’ l’armistice de 1918.

5Louis Lafferre, ministre de l’Instruction publique dans le deuxième ministère Clemenceau (de 1917 à 1919). Il fut remplacé par Léon Bérard de meilleure composition.

  1. 6Son roman alsacien « Les Oberlé » avait eu, de 1901 à 1917, 217 éditions.

  1. 7Evêché de Metz. Cartons Pelt (E) : 20 lettres plus photos.

  1. 8« Beau Muller » pour distinguer. Car il y avait encore d’autres prêtres Muller à Metz à cette époque, notamment « Muller solennel » à Notre-Dame, « Muller Bempel » (ou -le-battant), rédacteur du Volksblatt. Il y avait même « Muller-la-vache ». M. Louis Muller était connu pour son esprit de repartie et son sens diplomatique. Prêtre diocésain, il avait été placé à la tête du Collège Saint-Clément au moment où les jésuites y rentraient sur la pointe des pieds. A M. Mirman, préfet de la Moselle, qui lui demandait s’il y avait vraiment des jésuites dans sa maison, il aurait répondu d’un air candide : « Je vois ces Messieurs au réfectoire. Ils parlent les uns comme les autres. Ils mangent les uns comme les autres. Maintenant y a-t-il des jésuites parmi eux ? ». Il ne serait pas surprenant qu’il n’ait pas voulu se mêler de l’affaire qui nous occupe en raison de sa position délicate.

9Sur les vrais Baltus, voir : A. Plassiart, Les Baltus messins, dans Annuaire de la Soc, d’hist. et d’arch. de la Lorraine, Metz, 1956.

10Voir Comtesse de Pange, 1900 s’éloigne, Paris-Glasset, 1973.

11Nous n’avons trouvé un exemplaire qu’aux archives de la ville de Metz. Nous remercions M. Tribout de Morembert de nous l’avoir communiqué.

  1. 12Voir le Messin, 14 mars 1926.

13Il faut noter que la ville de Metz a donné le nom de « René Bazin » à ï’une de ses rues dans le quartier de Queuleu.

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