par Jean-Luc MARAIS,
Maître de conférences honoraire en histoire contemporaine, Université d’Angers
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En mars 1912 parait chez Calmann-Lévy un nouveau roman de René Bazin, Davidée Birot, 361 pages, qui avait d’abord été publié en feuilleton dans le Supplément de La Revue Hebdomadaire, à partir du 25 novembre 1911 (1). Vingt ans plus tard, les « Davidées » sont devenues l’objet d’une polémique nationale. Que contenait donc ce roman, presqu’oublié de nos jours, pour avoir eu un tel retentissement ?
Le roman
Le texte et son écriture
Bazin entremêle habilement deux récits : la rencontre de Maïeul, fendeur d’ardoises, et de Davidée Birot, institutrice à l’Ardésie et la recherche par Davidée d’une ligne morale pour donner sens à l’éducation des filles qui lui sont confiées. Ces deux fils conducteurs se rencontrent dans une élève de Davidée, Anna, fille de Phrosine abandonnée par son mari et concubine de Maïeul. Davidée reproche à Phrosine sa conduite immorale, mais Phrosine récuse la morale de Davidée. Bouleversée, Davidée ne trouve pas dans l’enseignement qu’elle a reçu à l’école normale ni dans les conseils de sa directrice de réponse à son inquiétude. Et quand la petite Anna mourante lui demande « N’est-ce pas qu’il y a un Bon Dieu », elle commente ainsi sa réponse : « Elle a cherché un appui. Elle a voulu savoir s’il y a un consolateur, un lendemain à la vie qu’elle sent s’échapper, et elle m’a choisie pour donner la réponse. Je suis sa maîtresse. Il n’est pas possible que la maîtresse ignore s’il y a un paradis ? L’enfant voulait croire mieux afin de souffrir mieux. Elle avait préparé la question ; elle y songeait, tandis que je l’entretenais d’autre chose. Et elle n’a pas eu de réponse. J’ai eu peur de dire non ; je n’ai pas été assez brave ou assez apitoyée pour dire oui. Je lui ai dit de prier, parce que cela ne compromet rien. Prier qui ? Devant la grande peine, j’ai eu la moitié de la réponse d’une chrétienne que je ne suis pas. Pauvreté ! Contradiction ! Mais pauvreté surtout! Petite malade, tu avais cru à la fontaine : je suis sans eau [….] Je ne sais pas ce que je suis venue faire en ce monde. Et depuis que je suis mêlée à la vie réelle, je vois qu’il n’y a point de science égale à celle-là. Tout est là : savoir de qui nous venons, et à qui nous allons » (2). Anna meurt, Davidée assiste avec ses élèves à la sépulture (3) qui l’émeut. Le lendemain, elle rencontre Phrosine qui lui reproche d’avoir causé le départ de son amant, Maïeul, et de l’avoir privée de l’amour de sa fille, à cause de sa morale. Mais, avant de partir à la recherche de son mari et de son fils, elle annonce à Davidée qu’elle a été dénoncée. L’inspecteur vient en effet reprocher à Davidée d’avoir rencontré le curé lors de l’enterrement d’Anna. Le père de Davidée, franc-maçon influent, fait annuler par le préfet la sanction contre sa fille (c’est le prétexte de deux scènes pittoresques que Bazin prend plaisir à écrire !). Davidée réagit : « Je n’ai pas la foi, mais je ne supporterai pas qu’on m’impose un état d’esprit contraire, avec obligation de n’en pas sortir. Je suis blessée, humiliée pour l’enseignement même, atteinte dans ma dignité ».
Elle reçoit des lettres d’autres institutrices, des visites : « Je veux le respect de ma dignité, elles veulent le respect de leurs croyances » (4) . Si, à la fin du livre, elle s’avoue son amour pour Maïeul et le laisse revenir à l’Ardésie, elle n’a pas franchi le pas de la conversion : « Je ne suis pas encore la chrétienne qu’ils s’imaginent » (5).
L’histoire est enrichie d’épisodes nécessaires à l’intrigue romanesque que je signale rapidement ici : une grève, où est impliqué Maïeul, une description de chasse dans les bois de Saint-Barthélémy où Maïeul tue un lièvre pour l’offrir à Davidée, le récit des visites de Davidée à Blandes, son village natal, la narration de la recherche par Davidée et Phrosine du fils de cette dernière. Je n’évoquerai pas le style de Bazin, sa sensibilité dans la description des interrogations de cette jeune fille de 23 ans. Pas plus que sa description de l’Ardésie. Pourquoi avoir inventé ce villa-ge ? Tous les noms de lieux mentionnés sont réels, sauf celui-ci. Si l’on retrace sur une carte les déplacements des personnages, l’Ardésie, ce « village éparpillé » (Bazin avait d’abord écrit disséminé) pourrait bien se situer dans le quartier de Saint-Lezin (toponyme qui d’ailleurs n’apparaît pas dans le roman) sur la vaste commune minière de Trélazé, aux portes d’Angers. Le manuscrit conservé et ses différentes variantes (6) permettent de voir René Bazin au travail. Il commence le 15 août 1910, et termine le 13 août 1911. Dans le manuscrit (1ère version), il y a seize chapitres, dont treize n’ont pas de titre. Dans la seconde version, les chapitres IV et V sont réunis en un seul. La répartition des quinze chapitres ne change plus : tous ont un titre, définitif. Dans le texte confié à l’imprimeur (3e version), trois chapitres sont modifiés (VIII, L’affut du lièvre, dans le paragraphe final, ajouté en deux temps ; X, La chanson de Maïeul, également modifié dans sa fin, XIII, Rencontre, légèrement modifié dans ses premières lignes, dans la description du paysage). C’est donc sur la dactylographie de la version 1 que sont faites les modifications les plus importantes, au total assez peu nombreuses. La description des lieux, des personnages, le récit de certaines scènes
charnières (comme la visite de l’inspecteur) sont écrites d’un seul jet. Les passages où sont en scène les deux héros du livre, Davidée et Maïeul, sont les plus travaillés, et ce sont les dialogues de ces deux personnages, entre eux, ou avec d’autres personnages (7) qui sont revus par Bazin, sur le fond, et dans les formes langagières des gens du peuple. Dans la 2e version, Bazin ajoute ou modifie quelques indications visant à rendre le texte plus précis (8), ou moins pittoresque (9), plus évocateur (10), plus sobre (11).
Il change aussi le nom d’un personnage : la grand’mère de Philomène Tourneux devient Jeannie Fête Dieu (12). Bazin tient à une chronologie précise, jour à jour, pour les évènements, année par année pour la vie de son héroïne, d’où des ratures, et dans le manuscrit une trace de cette démarche avec la présence d’une fiche (p. 31) où il retrace la scolarité et la carrière professionnelle de Davidée : il lui attribue même un très vraisemblable « certificat d’aptitude pédagogique », qu’il n’évoquera pourtant pas dans le texte. Deux changements importants sur la 2e version. D’abord, l’origine de son héroïne. Dans le manuscrit, elle est originaire des Deux-Sèvres, près de la Boutonne. Dans la seconde, elle vient de Blandes, de « ce Pays des Charentes ». On sait quand Bazin a effectué ce changement : le 18 juin 1911, il rend visite à Loti à Rochefort. Dans son carnet il note (à l’encre rouge, alors que le reste est en noir) : « J’ai nommé, dans mon roman Une laïque, Blandes aux volets verts, ce village d’Esnande, abordé en automobile, et parcouru soigneusement » (13). Dans cette 2e version, l’héroïne change de nom : dans le manuscrit, elle s’appelle Léa, désormais c’est Davidée. Mais le roman, d’abord annoncé en feuilleton pour octobre avec le titre « Une laïque », est publié à partir du 25 novembre sous le titre « Davidée Birot. Une laïque » (14). Le titre simple -Davidée Birot-n’apparaît qu’au moment de l’édition chez Calmann-Lévy. Changement heureux d’un point de vue éditorial, mettant l’accent sur l’histoire d’une personne, plutôt que sur une situation se référant à une question polémique (15). Reste que le choix de ce très rare prénom reste énigmatique : « Curieux prénom, à la vérité, à l’allure de participe passé féminin, issu de verbe inconnu, et qui évoque on ne sait quelle lutte menée contre on ne sait quel Goliath », écrit un auteur qui est peut-être Jean Guitton en 1977 (16).
Le sens du roman
Quel est le sens du roman ? Une courte fiche de Bazin, placé au début du manuscrit, peut-être au moment de fermer ce dossier, son édition étant menée à bien, porte ces mots : « J’ai simplement voulu dire, ayant vu ces choses, l’étonnement, l’angoisse et l’ascension d’une petite institutrice publique qui s’aperçoit que son enseignement est vide ». Cet axe du roman ainsi souligné, et cette analyse étant ratifiée, on le verra, par nombre de contemporains, il n’est pas interdit d’examiner si une autre approche est envisageable.
« Maïeul Jacquet, que tout le monde sur les carrières appelait Maïeul Rit-Dur » est le premier personnage qui apparaît dans le roman, et le monde des fendeurs et carriers de Trélazé est fortement présent comme arrière-fond humain, dans la description bien documentée du travail des fendeurs (17) et des paysages, et à travers le récit d’une grève. Dans l’intrigue, cette grève n’est pas centrale, mais justifie (de façon d’ailleurs peu vraisemblable) le départ de Maïeul, blessé par ses camarades. Doit-on, comme le fait un des correspondants de Bazin, y voir un traitement d’un
« deux problèmes de la France actuelle : le problème social, et le problème religieux », « la double apparition de deux grandes tyrannies qui pèsent sur les humbles, de nos jours : la tyrannie syndicale et la tyrannie laïque » (18) ?
La grève décrite par Bazin, dans le chapitre X La chanson de Maïeul, est une jolie page d’écriture (19), mais une mauvaise page d’histoire (20). Relevons d’abord quelques détails : il n’y a pas de grève en 1909 ; la grève de 1910, contemporaine de l’écriture de Davidée Birot, commence le 7 juin (comme dans le roman), et continue jusqu’au 20 juillet, alors que dans le roman elle ne dure qu’un peu plus d’une semaine. Il y a bien intervention de l’armée, à la demande de l’entreprise, mais il n’y a pas de secours financiers venus d’ailleurs, ni de « soupe communiste » (ce qui se produit parfois). Il y a eu affrontements entre les grévistes et les soldats, mais pas de saccage des bureaux, ni de destruction d’ardoises (à la différence de 1904). Bazin condense donc dans une seule grève des évènements divers : c’est la liberté du romancier. Mais le point essentiel est dans la présentation de la cause de la grève : l’écrivain décrit un incident avec un employé compteur d’ardoises, qui s’amplifie rapidement, et qui débouche sur une violence gratuite : « On ne crie plus : « À bas Trémart ! » Les petits griefs nouveaux n’ont pas assez de puissance. C’est l’antique levain qui a remué la pâte : c’est la révolte contre le maître, la rage de détruire, la rage de prendre, le souvenir d’un mot cruel dit par un contremaître mort à des ouvriers morts, la promesse d’une société nouvelle, d’un bonheur nouveau, d’une domination retournée, d’une égalité détruite au profit des travailleurs manuels ». Or si la violence est bien plus fréquente dans les grèves ardoisières que dans les autres, dans ces années, qui sont celles où Ludovic Ménard organise le syndicalisme ardoisier, les objectifs de la grève sont bien différents de ce que croit voir René Bazin : ils portent sur l’application de la loi sur la durée du travail dans les mines (1904), sur les tarifs de fabrications des nouvelles tailles d’ardoise (1910), sur les salaires 1911. Les vieux réflexes libertaires sont éclipsés par un syndicalisme bien organisé qui se donne, en attendant la révolution générale, des objectifs concrets, face à une entreprise particulièrement intransigeante.
De façon bien plus évidente, Davidée Birot aborde la question de l’école, qui est toujours l’objet de vifs affrontements à cette époque. Antoine Prost écrit : « Les années 1905-1914 sont marquées par une incessante guérilla scolaire » (21). En septembre 1908, les cardinaux et archevêques demandent aux parents d’élèves de l’école publique de surveiller « ce que, à défaut d’une expression meilleure, nous appellerons la neutralité » (22) ; en 1909, à la demande du pape, ils durcissent le ton en condamnant l’école neutre, tandis que certains manuels sont mis à l’index ; les instituteurs répondent par des procès aux évêques qu’ils gagnent parfois. Plus précisément, Bazin aborde la question, qui n’est pas nouvelle mais qui prend en ces années un tour nouveau, de l’enseignement de la morale à l’école. Peut-être y a-t-il été incité par l’ouvrage d’un de ses confrères à la Revue des Deux-Mondes, Gorges Goyau, qui publie en 1906 un ouvrage, L’Ecole aujourd’hui, dont un des chapitres traite de « L’école et Dieu » (23). Après la laïcisation des programmes de 1882, sous l’influence d’une partie des républicains (derrière Jules Simon) sur le gouvernement, l’enseignement de la morale et des devoirs envers Dieu reste dans les programmes de l’école publique. Dans la mise en oeuvre de cet enseignement, des protestants libéraux jouent un rôle essentiel (24) : « Nous avons été un certain nombre dans l’université –et non pas tous certes, protestants libéraux, mais peu importe – à nous imaginer qu’il est possible à un homme, indépendamment de toute confession ecclésiastique, de vivre d’une vie morale qui aura la profondeur, la force et la vertu du sentiment religieux », écrit Buisson en 1900 (25). Félix Pécaut, directeur de l’ENS de Fontenay, qui forme les directrices d’écoles normales, est le plus célèbre apôtre de cette foi, et ses élèves diffusent son enseignement auprès de toutes les normaliennes. Mais dans les années 1900, la France a changé, ainsi que le monde des instituteurs : le détachement religieux rend désormais difficile de lier morale et sentiment religieux. Ainsi apparaît une morale scientifique et sociologique, qu’un de ses promoteurs, Alfred Fouillée, décrit ainsi : « La partie scientifique de la morale, c’est la partie sociologique, celle qui étudie les conditions essentielles de toute société, les obligations essentielles de tout homme en tant que membre de la société. Une telle morale est donc indivisiblement sociale, familiale et personnelle. Je voudrais bien savoir s’il existe une société qui n’ait pas parmi ses conditions la justice et la bienfaisance, ou même ces vertus dites privées que les anciens appelaient sapientia, temperantia, fortitudo. Les sept péchés capitaux des théologiens sont aussi des péchés sociaux : orgueil, c’est insociabilité, paresse, c’est insociabilité, colère, c’est insociabilité, envie, intempérance, luxure, voilà des vices qui rejaillissent sur la société entière. L’instituteur ne doit pas volontairement exaspérer les esprits par un enseignement qui suspendrait la morale à la religion naturelle. La morale scientifique, c’est la morale sociologique. Le maître doit donc s’y tenir strictement, sans prétendre pour cela qu’elle soit toute la morale, la seule morale. Les négations lui sont interdites comme les affirmations » (26). La question de l’enseignement de la morale est au coeur du roman (27).
Davidée Birot décrit la vie d’une institutrice, un genre où Bazin n’est pas seul dans la course, puisque de 1881 (lois Ferry) à 1914, 16 romans de ce type ont été dénombrés (dont 9 écrits par des instituteurs (28) : les plus célèbres sont Jean Coste d’Antonin Lavergne, 1901, préfacé par Péguy, Vérité de Zola (1903), et Davidée Birot. On pourrait en rapprocher deux autres ouvrages qui ne sont pas à proprement parler des récits de vie d’enseignant, mais qui touchent de près notre sujet. En 1905, sous le pseudonyme d’Yves Le Querdrec, Georges Lespinasse-Fonsegrive (29) publie Le Fils de l’esprit, roman social. C’est l’histoire de Norbert de Péchanval, jeune démocrate-chrétien fervent catholique, issu d’une noble famille, qui veut changer son village du sud-ouest de la France en rompant avec les traditions familiales aristocratiques et en s’alliant avec les instituteurs publics. Il rencontre l’institutrice, Emma Tournier. Et le romancier présente en parallèle les réflexions des deux jeunes gens sur la morale de l’école normale et sur la foi. Norbert écrit : « Je croyais volontiers que l’éducation donnée dans les écoles normales, nulle au point de vue mondain, ne l’était pas moins au point de vue moral », mais il constate : « Il faut bien que la culture morale ne soit pas dans les écoles normales aussi nulle qu’on veut bien le dire pour que ce soit précisément cette culture morale qui ait détruit la foi chez Mlle Tournier, qui l’ait détruite en la remplaçant par quelque chose de plus élevé que ce à quoi elle croyait auparavant quand elle faisait profession d’être catholique » (30) : une morale élevée, inspirée de Pécaut, qui nait sur les ruines d’une religion trop desséchée. Mais de son côté, l’institutrice en vient à redécouvrir le Christ au contact de Norbert. Un amour nait entre les deux personnages, contrarié du côté du jeune homme par son père : une histoire d’amour, une analyse par lettres croisées des fondements de la morale et du rapport morale et foi, non pas une morale fondée sur la religion, mais une morale qui conduit vers la pure religion, une directrice qui affronte Emma, comme l’inspecteur affronte Davidée… Cela fait beaucoup de ressemblances.
Fonsegrive, démocrate-chrétien, penchant vers le moderniste, attaquant vivement le « lieu commun » de la solution charitable de la question sociale, n’est pas du monde de Bazin. Bazin a-t-il lu son livre ? Veut-il donner sa vision beaucoup plus négative de la morale laïque ? Notons que Le Fils de l’esprit n’a rien de la qualité romanesque et littéraire de Davidée Birot, et que le texte est souvent lourdement démonstratif, voire apologétique.
En 1907, Pierre Gourdon publie chez Lethielleux un roman intitulé Vers la haine. Pierre Gourdon (1869-1952), de Chemillé (Maine-et-Loire), a connu René Bazin à la Conférence Saint-Louis, aux Facultés catholiques d’Angers (31). Ce livre fait l’objet d’une « édition populaire » en 1910, et est adapté la même année pour le théâtre (de patronage). Il serait fort étonnant qu’il n’ait pas envoyé son livre à son maître (32). Ce très mauvais roman n’est pas une histoire d’instituteur, mais l’instituteur public y joue un rôle capital. Résumons l’argument. Dans un village idyllique des Mauges, Prosper, le fils du cantonnier, intelligent, est pris en main par l’instituteur laïque qui obtient que l’enfant soit
inscrit à l’école publique. Machiavéliquement, l’instituteur change l’esprit de Prosper, qui va, après son service militaire, quitter la terre, puis le village, pour Paris ; certes il est parfois soumis à de bonnes influences, mais le mauvais instituteur veille toujours sur lui : il abandonne toutes les valeurs traditionnelles, et de trahisons en malheurs, il finit dans la misère, assaillant du couvent des Capucins d’Angers en 1903. Le livre montre donc que le point de départ de cet enchaînement dramatique, c’est la fausse « neutralité de l’enseignement officiel », de l’instituteur qui fait « partager ses négations ou ses haines ».
Je fais donc l’hypothèse que Bazin veut se situer entre ces deux points de vue : ni diaboliser l’instituteur public comme le fait Gourdon, ni envisager comme Fonsegrive qu’une institutrice publique non catholique puisse avoir une haute influence morale, ce qui ruinerait l’argument catholique sur l’impossibilité d’une morale sans base religieuse. Pour cela, Bazin ignore la morale spiritualiste développée par les héritiers de Jules Simon, et décrit la morale « scien-tifique » des durkheimiens, reprise dans les cahiers de cours où Davidée a noté l’enseignement de Mlle Hennequin. De plus, ce n’est pas seulement (comme Emma Tournier) grâce à sa réflexion que Davidée Birot chemine vers la foi : ce sont les petits qu’elle rencontre, Anna Le Floch, la mère Fête-Dieu, une vieille femme malade, qui lui montrent le chemin. Bon romancier, analyste reconnue des âmes féminines, c’est le cheminement de son héroïne, ses angoisses et sa volonté, qui intéressent Bazin et qu’il fait découvrir à son lecteur.
La réception du roman
La presse
Commençons par la critique des journaux et revues. La première recension repérée est celle du fameux abbé Bethléem, dans Roman Revue du 15 janvier 1912 : « C’est l’histoire d’une institutrice communale que son bon sens et l’inquiétude de sa jolie âme amènent pas à pas, vers Dieu ». Mais le personnage de Phrosine, peint avec cette « note de vérité assez crue qu’affectionne, par places, René Bazin » déplait au recenseur. « C’est ainsi qu’il sera impossible de conseiller ce livres aux jeunes filles. Et quel dommage pourtant ! La portée apologétique d’une telle oeuvre est si générale ». La section ACJF (Association catholique de la Jeunesse française) de Roubaix consacre une soirée au livre, rapportée en février 1912 dans le bulletin L’Effort : « la discussion mit en lumière cette vérité que s’il peut se rencontrer çà et là des incrédules menant une vie morale et de dévouement, ce ne sont là que des exceptions ». L’abbé Brouard, dans la revue catholique angevine Quand même ! (mars 1912) reprend le diptyque, l’école « foyer d’immoralité et d’antichristianisme » d’un côté, l’âme pure de Davidée de l’autre.
Moins brutalement, J. Laurec (33), dans La Semaine Littéraire, 5 rue Bayard, reprend l’idée d’exception : « A la vue de l’oeuvre néfaste des « laïques », nous serions enclins à les englober tous dans la même réprobation. L’auteur de Davidée Birot est plus miséricordieux et, sans doute, plus perspicace. Dans cette masse pervertie, il nous montre disséminée une élite d’âmes loyales à qui la vie ouvre peu à peu les yeux sur le vide et la malfaisance du dogmatisme antireligieux qu’on leur impose et qui, intimidées par leur isolement, s’appellent instinctivement de tous les points du pays pour se grouper et conquérir le droit d’être chrétienne dans leur enseignement comme dans leur vie privée. Davidée Birot est une de ces « laïques » que l’expérience ramène à la foi et qui, en montant dans la lumière, servent de stimulant et comme de point de ralliement à leur collègues ». Mais il souligne l’ « optimisme surnaturel » de Bazin (34). On remarquera que ces critiques considèrent que Davidée est redevenue catholique, alors que dans le roman, elle n’a pas franchi ce pas. Mais le livre paraît au moment où le mouvement de conversion des intellectuels au catholicisme atteint son apogée : Davidée Birot, personnage de roman, est intégrée tout naturellement dans cette vague (35). Le recenseur de la revue des jésuites, Les Etudes (36), est plus fidèle au texte, dans les cinq pages qu’il lui accorde dans la rubrique « Livres de vacances » du 15 juillet : « La conclusion du joli conte, M. René Bazin laisse au rêveur de la deviner, assurée quoique lointaine encore ; comme il laisse au lecteur d’achever les raisonnements ébauché et de conclure la thèse exposée tout au long du livre. Tout est discret, tout est nuancé ; tout est lumineux sans doute, mais d’une lumière bienfaisante et comme estompée ». Doit-on sentir une réticence ?
Dans la presse non confessionnelle, le ton est plus varié. Le Mercure de France, en 10 lignes, commence par évoquer « l’idylle d’une femme intelligente, instruite et d’un simple ouvrier, d’un terrassier, assez habilement présentée pour ne choquer personne »… « C’est à la fois sain et probe, un peu triste, mais d’une tristesse honnête, pas voulue pour la vibration du coeur bourgeois. On peut ne point partager les idées religieuses de l’auteur tout en communiant avec lui en la religiosité de son art ». Dans son « Carnet », Bazin écrit : « Pour la première fois, Mme Rachilde (Mercure, 16 avril 1912) n’attaque pas et ne dédaigne pas un livre de moi » (37). Jules Bois, dans Les Annales politiques et littéraires (17 mars 1912), est beaucoup plus enthousiaste sur le roman, mais sa conclusion n’est guère différente : « La partie la moins solide (et cependant…) dans ce livre, c’est la thèse; une thèse toujours est fragile par quelque endroit. Mais celle-ci est si voilée, si discrète, et par endroits si juste, qu’on ne saurait en faire un vrai grief à l’auteur de Davidée Birot. C’est vers cette morale religieuse que Davidée et Rit-Dur évoluent. Il ne faudrait pas, cependant, nier que de beaux caractères ont existé, existent, qui n’ont pas eu l’aide de la foi. La conscience possède, elle aussi, des exigences inflexibles ; l’impératif catégorique de Kant n’est pas un vain mot. Il est vrai que la morale uniquement laïque reste plus froide ; il est des minutes ou le coeur a un besoin irrésistible de prier… M. Bazin y insiste. Quel fanatique le lui reprocherait ? »
Je terminerai par trois critiques plus inclassables. La première apparaît dans Solidarité laïque (Association amicale des instituteurs et institutrices de la Lozère), janvier 1913. L’auteure n’aborde qu’un seul point, pour dissuader ses collègues d’une alliance si déséquilibrée : « Comme Davidée, elle pourra peut-être espérer l’élever jusqu’à elle ? Mais souvent hélas, quel douloureux réveil ! »
La seconde provient d’un hebdomadaire publié à Toulouse, L’Ecole laïque, journal laïque, républicain et anticlérical et est signée SS, initiales de Stéphane Strowsky (38). L’auteur appartient à l’école publique, et fait l’éloge du livre. Son analyse est la suivante : « L’éducation morale donnée à l’école, avec le véritable amour de l’enfance et la volonté de contribuer efficacement à sa formation morale, finit tôt ou tard par rejoindre le sentiment religieux et par s’appuyer sur lui. C’est donc une sorte de critique de la neutralité scolaire. Mais qui dit critique ne dit pas éreintement, et la neutralité dont il s’agit dans l’espèce n’est nullement celle que l’on croirait. En premier lieu, M. Bazin n’entend pas du tout faire implicitement le panégyrique de l’école congréganiste, même sécularisée, en dressant une sorte de réquisitoire contre l’école laïque. Au contraire, il ne faudrait pas y changer grand-chose pour y trouver un plaidoyer en faveur de cette dernière. J’imagine même que bien des adversaires de nos écoles éprouveront à lire ce livre le genre d’étonnement que son auteur met dans l’esprit du curé de cette pauvre paroisse…Si cela pouvait faire cesser certaines préventions – j’entends des préventions de bonne foi-ne serait-ce pas un fier service que Bazin aurait rendu à la cause de l’enseignement primaire public ? Le dénouement s’annonce : Davidée redeviendra croyante, ce qui la rapproche d’un nombre d’institutrices beaucoup plus grand que le croit Bazin ; sans doute elle ne sortira pas, dans son enseignement, des limites de la neutralité, mais il y aura dans son oeuvre d’éducatrice une ferveur d’éducatrice et une confiance qu’anime intérieurement la pensée de Dieu. ». Puis ce critique évoque la largeur d’esprit de Bazin : « Le jour où il toucherait à l’école, c’était chose inévitable qu’il aperçut le bien qui s’y fait et celui qu’on souhaiterait y faire. Il a montré, mieux que personne, que cette école n’est pas une école d’immoralité. Il ne voudrait pas qu’elle soit une école athée. Qu’il me permette de lui dire qu’elle ne l’est point. Elle n’est pas confessionnelle et l’on n’y enseigne aucun credo ; mais sauf des exceptions exclusivement personnelles, et dont M. Bazin s’exagère la fréquence et l’importance, l’école enseigne le respect du sentiment religieux, elle le favorise. C’est non seulement la lettre, mais aussi l’esprit et aussi la mise en pratique des instructions organiques de l’école » : vision sûrement optimiste sur la réalité de l’école et sur le regard de Bazin, tout comme sont optimistes ses dernières lignes : « Ce n’est pas un livre de combat, c’est au contraire un livre de pacification. Il vient à son heure. Après des luttes ardentes de naguère et pour prévenir des conflits plus douloureux encore, il me semble qu’un peu de douceur filtre dans les esprits une paix honorable pour tout le monde et définitive. Ce sera l’un des plus grands mérites du nouveau roman de Bazin que d’y avoir efficacement travaillé dans son parti et peut-être dans le nôtre ». Bazin a soigneusement classé cet article dans ses papiers (39).
Le 15 octobre 1912, la Revue pratique d’Apologétique revient sur ce roman. Cette seconde critique ouvre un pont vers la dernière partie de notre exposé, puisqu’elle aborde les possibles « sources » de Bazin. La plume anonyme cite d’abord Mgr Vincent à propos de Bazin : « Sa probité d’écrivain est telle qu’il ne consent pas à décrire le plus futile objet s’il ne l’a d’abord de ses propres yeux vu. A bien plus forte raison quand il s’agit de décrire des âmes, considère-t-il comme indispensable de les avoir vues vivre devant lui. Tenons pour certain qu’avant de crayonner sa Davidée Birot il a causé avec elle, recueilli ses confidences et tourné les pages de son cahier vert. Il s’est assuré de la sorte que la lourde atmosphère de matérialisme où respira, sans malaise apparent, toute une génération d’instituteurs, commence à peser aux épaules des meilleurs. Des isolés font entendre une timide protestation, et cherchent un appui dans leur entourage ; des idéalismes encore inconsistants battent de l’aile ; une obscure germination spirituelle s’opère, sur laquelle la sympathie attentive de M. Bazin s’est penchée pour en épier l’éveil. Davidée Birot est un cas, peut-être un peu moins rare que nous ne pensions. » ; l’auteur poursuit en citant une lettre reçue par Joseph Lotte (40) :
« …Institutrice primaire, j’ai souffert, comme la Davidée Birot, de René Bazin, de n’avoir pour guide et soutien qu’une morale très…retentissante, mais si incapable d’éclairer la voie et d’aider à faire un peu de bien ; J’ai souffert, j’ai cherché. Dieu aidant, j’ai retrouvé la foi. Mais je suis tourmentée en pensant à tant d’institutrices que je sais être tristement désemparées, parce qu’à l’Ecole Normale elles ont perdu la foi mal assurée qu’elles y avaient apportée. Depuis deux ans, je me demande anxieusement le moyen de leur venir en aidé. Pourquoi n’essayerons-nous pas parmi nous ce que vous avez fait dans le secondaire ?…». La même revue reviendra sur l’importance de Davidée Birot en juillet 1915.
Les lettres et les rencontres
Parmi les lettres que reçoit Bazin, certaines sont peu originales, reprenant le discours catholique traditionnel sur l’impossibilité d’une morale laïque, ainsi celles de Pierre de Nolhac, André Chevrillon, René Boylesve, Robert de la Sizeranne (41). D’autres écartent nettement le thème du livre au profit de l’évocation de son style (J. J. Tharaud, P. Claudel (42). Dans un des carnets où il note des propos entendus, des textes lus, des projets, Bazin rapporte, le 30 janvier 1911, des propos de l’historien des religions et ancien pasteur, Maurice Verne : « J’ai cru que les destructeurs de l’enseignement catholique cherchaient une morale, pour remplacer la morale chrétienne. Ils l’ont fait un certain temps. Ils n’ont pas trouvé. Depuis, je me suis aperçu qu’ils ne cherchent plus » (43). Cette remarque est très probablement en rapport avec la publication du roman en cours. Lavisse, à la fin d’une séance de l’Académie, lui dit : « Je vais donner votre Davidée Birot aux institutrices de Nouvion-en-Thiérache. C’est la preuve que vous n’êtes pas opposé aux idées que j’ai mêlées au récit ? Du moins, je suis partisan tout à fait, de la liberté religieuse personnelle. Ce sera fait avant deux ou trois ans » (44). Bazin reçoit aussi une lettre d’un inspecteur primaire, qui lui écrit que nombreux sont les instituteurs et inspecteurs qui regrettent « la sécheresse et le manque d’idéal de notre enseignement primaire. La fondation d’écoles privées est un moyen fâcheux, souvent impraticable, en tout cas provisoire : c’est l’école publique elle-même qu’il faut réformer » (45).
Les lettres que reçoit Bazin d’instituteurs publics, les contacts qu’il a avec certains protestants, en particulier Maurice Verne (46), ne seraient-ils pas à l’origine d’une proposition qu’il introduit quelques années plus tard dans le Programme de la Corporation des publicistes chrétiens à laquelle il travaille depuis 1916 (47). C’est un programme de reconstruction de la France pour l’après-guerre. Parmi les propositions en matière scolaire, d’une part une aide financière de l’Etat à l’enseignement catholique, d’autre part, dans l’école publique : « Nous maintenons l’enseignement des devoirs envers Dieu ; nous ramenons à l’école, avec le Décalogue, toute la morale naturelle. Ne serait-ce pas un progrès bien grand ? Et quel homme sensé pourrait ne pas le souhaiter avec nous, sachant que l’enseignement actuel de la morale, dans les écoles publiques, est considéré, par tant d’instituteurs et d’institutrices eux-mêmes, comme tout à fait insuffisant. Ainsi améliorée, l’école publique donnerait aux enfants qu’elle instruit, une force morale plus grande et une plus claire notion du devoir. Les maîtres et les maîtresses de cet enseignement, ceux que la passion politique n’entraîne point et qui comprennent l’enseignement de leur mission, verraient avec joie, sans nul doute, cet accroissement de leur dignité, et cette permission de donner aux âmes autre chose qu’une nourriture vaine et des conseils bien fragiles parce qu’ils sont tout humains. C’est là une obligation de l’Etat, qui lui est imposée par la seule raison, et lors même qu’il n’est pas chrétien ».
Dans le riche dossier de correspondances et de presse qui accompagne ce programme de 1917, il est bien qualifié de
« programme de M. Bazin ». L’affaire fit beaucoup de bruit, puisque c’était, malgré tout, reconnaître une certaine valeur à l’école neutre que le Vatican avait condamnée en 1912. Cette proposition, à la demande de Rome, disparut complètement dans le texte définitif. Mais René Bazin n’avait-il pas reconnu par ce projet, dans une ambiance d’Union sacrée, une certaine valeur à l’école neutre et à ses instituteurs ?
Davidée Birot n’est pas un des grands succès de René Bazin. Il ne connaît que quatre éditions, la dernière en 1931 (48). Pourtant, nous verrons bientôt pourquoi, pendant l’Entre-Deux Guerres Davidée est devenue presque un nom commun, pour désigner une institutrice catholique. Charles Baussan relève que ce roman a créé un « type littéraire » sympathique, ce qui est plutôt rare (49), remarque reprise par l’historienne Madeleine Réberioux en 1979 : Jean Coste est avec Davidée Birot le seul roman à avoir interprété un type. Mais si l’on parle beaucoup du roman, on ne le lit pas, ainsi que le démontrent les résumés qui en sont faits. Le rapport de Marceau Pivert (1930), sur lequel nous reviendrons, commence par un rappel du roman : « Davidée Birot est un personnage de René Bazin. Institutrice publique, fille d’un franc-maçon, elle prend en horreur les idées de son père et, au contact d’âmes pieuses, devient une fervente militante cléricale. » Point d’éducation sans foi catholique « . Telle est la révélation qui s’impose à elle, et qu’elle défend » la courageuse, la brave, la crâne petite qu’elle est », devant son inspecteur primaire ». Le Figaro (50), qui dénonce « les attaques communistes » contre les Davidées, reprend à peu près le même texte, en y ajoutant sa touche : « Davidée Birot, on le sait, est un personnage d’un des romans de René Bazin, institutrice publique, fille d’un franc-maçon, elle devient une fervente catholique. « Point d’éducation solide sans foi catholique », déclare-t-elle avec raison ». Là non plus, le roman n’a pas été lu. Le bulletin Aux Davidées le remarque en juillet 1930 : « M. Marceau Pivert a dépensé beaucoup de temps pour imaginer les secrets de notre organisation, et il n’a pas eu une seule minute pour lire Davidée Birot qu’il eût pu facilement se procurer au cours de ses voyages dans une bibliothèque de gare. S’il avait lu Davidée Birot, il aurait vu que Davidée était une incroyante troublée par les questions religieuses et sur le chemin de la foi qu’elle n’atteint pas encore dans le roman ».
A plus long terme, Davidée Birot est rarement mentionnée parmi les oeuvres de Bazin. Albert Thibaudet, dans l’Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, 1936, le mentionne parmi les trois qu’il cite.
Mais dans l’analyse menée par Georges Cesbron en 2000, « du dernier demi-siècle », on ne le voit jamais apparaître (51).
Du réel au roman, du roman au réel.
Un personnage tout à fait vraisemblable
On sait combien René Bazin se documente pour écrire. Je n’ai pas retrouvé de dossier préparatoire à Davidée Birot (comme il en existe pour d’autres oeuvres). Voici donc quelques éléments qui permettent de situer une jeune institutrice de 1909 dans son temps. Dans l’enquête (52) menée auprès de 3 984 instituteurs et institutrices ayant exercé entre 1900 et 1914, relevons quelques données qui confirment la « réalité » du personnage. 38 % des instituteurs (53) sont originaires d’un village, comme Davidée, 16% des institutrices ont des parents artisans (2e catégorie, après les enseignants), 66% sortent d’une école normale. 60% des instituteurs ont choisi ce métier par influence de la famille. 56% des femmes se déclarent catholiques, mais 11% de l’ensemble H/F pratiquent régulièrement ou irrégulièrement. L’abandon de la pratique, la perte de la foi sont fréquemment mentionnés dans les réponses : « Quand ils sont sortis de l’école normale, nos instituteurs ont tendance à se déclarer moins souvent catholiques » que les autres (54). Mais le détachement par rapport aux religions révélées n’est pas l’abandon de toute religion : ils ont une foi laïque, reposant sur l’égalité et la justice, « l’universalité de la morale contre la particularité des religions, la conviction que moraliser et instruire c’est tout un ». « Cette religion rejette la transcendance, affirme l’indépendance du monde humain, et ne propose que l’homme comme dépassement à l’homme : ce que disent explicitement nos instituteurs lorsqu’ils déclarent s’être toujours proposés dans leur enseignement de » grandir l’humanité ». Tâche sacrée, la seule qui puisse l’être dans un monde qui a déserté le sacré. Et ils ont aussi ce trait de l’homme religieux qui est de n’oublier leur vocation dans aucun des actes de leur vie » (55). Mlle René, la directrice qui refuse de se poser des questions, entre mal dans ce tableau : Davidée ressent ces exigences, comme ses collègues instituteurs, mais y apporte une autre réponse.
Une information reçue par René Bazin ?
Une jeune fille qui cherche sa voie et qui échange des lettres avec d’autres institutrices redevenues catholiques : sur quoi Bazin se fonde-t-il ? Il y a bien sûr le renouveau spiritualiste de ces années et le mouvement de conversion des écrivains. Il y a la lettre de Joseph Lotte et le Bulletin des Professeurs catholiques de l’Université en 1911. Mais chez les institutrices ? Un cercle d’institutrices catholiques de l’enseignement public fonctionne à partir de 1907. Elles créent en 1910 une modeste feuille intitulée La correspondance circulante qui deviendra en 1917 le Bulletin des institutrices catholiques de l’enseignement primaire (56), puis en 1920 le Bulletin national des instituteurs et
institutrices catholiques de l’enseignement public » (57). Bazin peut avoir connu cette Correspondance lorsqu’il commence son livre en août 1910.
Abel Moreau, auteur de ce qui reste la meilleure étude sur l’oeuvre romanesque de Bazin, écrit en 1934 : « Davidée Birot a été conçu après la lecture d’un carnet de notes (le carnet de Davidée) qu’une institutrice avait confié à l’auteur », mais n’en dit pas plus sur ce point (58). Peut-on aller plus loin ? En 1912, l’abbé Combes, curé de Saint-Barthélémy, la résidence angevine de René Bazin, lui confie deux lettres d’une jeune cousine (G. Maitrugue), institutrice publique à Paris (59) : la première est du 24 mars, « Je n’ai pas lu Davidée Birot, je n’en ai lu que quelques résumés dans les journaux. Je doute que M. R. Bazin se soit servi de mes tuyaux, à moins que vous ne lui en ayez dit
quelques mots. En tout cas, demandez lui ainsi qu’à Mlle Bazin qu’ils prient beaucoup pour nous. Dites aussi à M. Bazin que son livre fera sans doute beaucoup de bien parmi les nôtres, il y a tant de désemparées ! Je sais une de mes amies, dont la soeur est complètement sceptique, mais on lui fait lire Davidée Birot, elle le lit avec beaucoup d’intérêt… ». Serait-ce là le contact qui aurait mis Bazin sur la piste de son sujet (60), sur ces échanges de correspondances qu’évoque le roman ? Dans cette lettre et une autre du 14 avril, cette jeune institutrice donne quelques informations sur leur groupe. Elles se retrouvent dans une retraite fermée à l’occasion de Pâques, elles ont décidé de créer une « petite revue imprégnée de christianisme, répondant aux objections courantes qui nous sont faites, traitant des questions d’éducation, et pouvant ainsi rayonner, pénétrer dans nos milieux et nous amener de nouvelles recrues. Nous allons d’abord essayer cette revue pendant quelques mois » (61). Et cette jeune fille se distingue par sa résolution : « Nous sommes un petit groupe de décidées, de résolues à tenir bon, à ne pas nous laisser influencer par les menaces du gouvernement, et à faire une trouée dans le monde de l’enseignement primaire ». « Mais savez-vous qu’il faut presque être une sainte pour vivre dans nos milieux, surtout lorsqu’on est seule dans une petite commune : le maire, l’administration et tout ce qui s’en suit voit l’institutrice d’un mauvais oeil parce qu’elle est catholique pratiquante et le curé de l’endroit lui en veut un peu parce qu’elle est laïque, alors elle n’a plus que le Bon Dieu pour elle qui l’encourage… ».
Le 3 septembre, Bazin reçoit une lettre d’un prêtre du diocèse de Laval, qui s’occupe d’un groupe d’institutrices publiques (62) : « La plupart récemment converties, et toutes écoeurées de ce qu’elles voient autour d’elles, ont senti le besoin de se réunir, de se grouper pour se mieux connaître, s’entraider, éclairer leurs doutes, étudier ensemble les meilleurs moyens de conserver leur foi et de l’étendre autour d’elles dans leur milieu si difficile et si réfractaire à l’idée religieuse ». Elles lui ont demandé de l’interroger car elles pensent « que des groupements similaires avaient été formés ici ou là ; et que probablement M. René Bazin devait avoir connaissance de ces groupements, car, disaient-elles, dans son dernier et si intéressant roman, il parle comme d’une chose vue, d’une association occulte d’instituteurs catholique dont les membres se transmettent un mot d’ordre secret aussitôt obéi ». On peut se demander si elles ont bien lu le roman !
Du roman au réel
Cet écho du roman produit un fait rare, constate Bazin en 1926 lors d’une conversation avec Jean Guitton (63) : « Une histoire (qui avait ses racines, certes dans le réel mais que j’avais romancée) a eu le destin d’engendrer un fragment d’histoire. De la poésie, comme aurait dit Goethe, est sortie la vérité ». Car outre les groupes que nous venons de signaler, nous sommes bien documentés sur un autre, qui naît en 1913 entre quelques anciennes élèves de l’école normale de Digne, marquées par l’enseignement d’une directrice élève de Pécaut (64). L’une d’entre elles raconte :
« Cette religion, transmise par nos familles, est-elle la vérité puisque notre directrice qui a tant de valeur morale paraît s’en passer complètement » ? Isolées socialement et géographiquement, elles échangent leurs recherches, des livres, dont Davidée Birot, qui leur est prêté par un prêtre. Marie Silve, pilier de ce groupe, le lit en août 1914 : l’intrigue lui déplaît, ainsi que les attaques contre l’école laïque. Mais à la demande d’une amie qui l’a apprécié, elle le relit : « Davidée Birot est orientée vers les questions religieuses, mais ce qui frappe d’abord, c’est que l’enseignement n’est pas à côté de sa vie, il est sa vie elle-même. Davidée Birot était vraiment la soeur de notre âme par son amour des enfants et de la vérité. Elle ne nous a pas fait retrouver la foi, qui est un don de Dieu ; elle nous a conduites vers la recherche des raisons de croire ». Une correspondance naît, comme déjà signalée en d’autres lieux. Elle touche des institutrices des Basses-Alpes et de la Drôme. En septembre 1916, ces jeunes filles se réunissent à Notre-Dame du Laus, et décident de créer un bulletin, dont le premier est de décembre 1916, portant le titre Aux Davidées. Il ne semble pas que Bazin ait été préalablement prévenu. On trouve en effet dans sa correspondance cette lettre de Pierre Fernessole (65) du 8 février 1917 (66) : « Je me permets de vous adresser le 2e numéro du Bulletin du groupe (le 1er fut une très modeste feuille manuscrite), le 3e portera une couverture avec ce titre : Aux Davidées ». Marie Silve explique ce choix : « Ce titre signifiait que nos pages s’adressaient, en même temps qu’aux catholiques, aux intelligences inquiètes comme Davidée Birot et adonnées comme elle à la recherche de la vérité» (67). P. Fernessole demande à Bazin un « mot d’adoption et d’encouragement ». Le romancier répondit par la lettre que cite Marie Silve (68) : « J’ai été surpris autant qu’ému en recevant votre lettre et les numéros du bulletin. Lorsque j’ai écrit Davidée Birot, j’ai voulu rendre hommage à tant de jeunes filles et de jeunes femmes qui, élevées plus ou moins en dehors de
l’idée religieuse et la connaissant mal, y aspirent cependant par la bonne volonté qui est en elles, par le désir de bien
faire, par cette tendresse toujours inquiète pour les enfants qui leur sont confiées, et quelquefois par cette angoisse qui vient à tout être raisonnable lorsque nous demandons où va la vie et dans quelle extraordinaire épreuve nous sommes jetés depuis notre âge le plus tendre. Davidée Birot est une de ces âmes nées pour la beauté chrétienne et qui ne la découvrent qu’à force de travail et de courage. Vous ne pouvez croire à quel point j’admire les créatures d’élite qui montent de l’ignorance de Dieu à la piété parfaite. Je crois qu’il y aura toute une théorie de saintes filles et de saintes femmes qui porteront en paradis une couronne sur laquelle nous lirons en lettres de diamant : « Celle-ci fut une petite institutrice de bonne volonté ; celle-ci mena une vie pure au milieu d’une triste population dont elle fut l’exemple et l’admiration secrète ; celle-ci, sans ostentation, avec un esprit humble et parfait, sut jeter dans l’âme de ses élèves de si justes idées qu’ils s’en trouvèrent entraînés, et elle en sauva plusieurs que vous voyez avec elle » (69).
Les rapports des Davidées avec Bazin ne s’arrêtent pas là : une carte du 28 novembre 1920, illustrée d’une vue de Notre-Dame-du-Laus, écrite par Marie Silve (70) lui arrive, exprimant la gratitude des Davidées, et présentant une demande : « Nous osons espérer, mon cher maître, que vous vous intéressez toujours aux soeurs de Davidée Birot. Celles-ci désirent vivement avoir un jour le bonheur de vous entendre lors de notre retraite à N-D du Laus par exemple, et lire de temps en temps, sur leur bulletin, quelques lignes de celui qui les comprend si bien ». Il ne semble pas que Bazin ait donné suite à ces demandes (71). Cependant, il assiste, « très ému », à une retraite des Davidées à Paray-le-Monial en août 1926, et confie au prédicateur de la retraite : « Que c’est beau, toutes ces femmes et ces jeunes filles qui jouent si bravement leur avenir, en affirmant leur foi » (72). La même année, il rencontre Jean Guitton et en 1928, lui écrit : « Notez vos impressions, leurs paroles, et cette absence de crainte, cette simplicité redoutable qu’on n’a pas à ce point sans une grâce et une mission » (73). En juillet 1930, Marie Silve évoque devant Emmanuel Mounier la conversation qu’elle a eu « à Pâques » avec René Bazin : « Comme vous devez être malheureuses et persécutées » lui dit-il, à quoi elle répond : « Mais non, on nous juge invincibles, et on nous trouve toujours irréprochables. – Mais dans vos petits postes, sans défense. – Je vous assure ». Bazin reste marqué par le contexte du début du siècle, alors que Marie Silve vit paisiblement la laïcité. Bazin conclut cette conversation : « Quand je mourrai je dirai à Dieu : il n’y a pas grand-chose mais il y a les Davidées » (74).
Dans cette carte de Marie Silve, portons attention à ce passage. « Maintenant encore Davidée Birot est la soeur de nos âmes et incarne nos aspirations d’institutrices catholiques. » Etre une femme inconnue mais capable de bien « demeurera toujours notre devise. Avec Davidée nous voulons aimer la vie simple et cachée dans notre poste, quel qu’il soit, la vie de dévouement absolu au milieu d’enfants que nous voulons amener à la Vérité. Nous avons connu la lutte douloureuse et longue ; nous avons entendu les mêmes paroles que Davidée à peu près dans les mêmes termes : son attitude envers son inspecteur nous était un encouragement » (75). Davidée est devenue une personne vivante pour ses « soeurs ». Ainsi, comme le relève Paul Fournier : « Singulière destinée de l’oeuvre littéraire qui, d’une certaine manière n’appartient plus à son créateur. Cette démarche de lecteurs à partir d’un personnage romanesque peut-elle être reconnue dans l’appropriation d’un livre d’histoire ? ». Paul Fournier le pense, en ce qui concerne l’appropriation de Charles de Foucauld par les Davidées qui publient en 1922 un article sur la spiritualité de Foucauld, à partir du livre de René Bazin (76). L’expérience spirituelle de Foucauld isolé au désert n’est pas sans rapport avec celle des Davidées dans leurs écoles de village.
Le mouvement va continuer son chemin : sessions à Notre-Dame du Laus, où viennent des théologiens, des universitaires, un bulletin de qualité (77), des publications annexes (78). Aux côtés des professeurs des lycées et des universités, elles se regroupent dans la Paroisse universitaire et participent tous les ans à partir de 1922 aux Journées universitaires (79). Leur succès (ainsi que celui du Bulletin national des instituteurs et institutrices catholiques (80) suscite la création d’une organisation de même type chez les protestants : le Mouvement des membres et amis chrétiens de l’enseignement, est fondé en 1929 à Nîmes (suite de groupes existants depuis 1922 chez des institutrices), il organise congrès annuels, « lettres-circulaires ». Il regroupe « des membres de l’enseignement primaire, qui désirent loyalement unir la fidélité à leur foi avec la fidélité qu’ils doivent à leur pays dont ils veulent rester les fonctionnaires dévoués, consciencieux et respectueux » (81). Foi-Education, revue d’inspiration et de documentation chrétienne pour Educateurs, commence à paraître en janvier 1931. Dès le premier numéro, un article évoque le mouvement des Davidées (82), « avec respect », « avec admiration », pour s’en distinguer. L’auteur connaît bien l’origine des Davidées (il a lu leur bulletin). L’article se prolonge sur trois numéros, et malgré quelques réticences, donne une image très positive du mouvement et refuse les mesures que préconisaient certains « laïques », l’élimination de tous les croyants de l’enseignement public.
Les Davidées : un nom commun !
Le monde catholique connait peu les Davidées, obsédé qu’il est par la défense des écoles catholiques : depuis la Séparation, l’école catholique est devenue l’axe, non pas unique, mais prioritaire de la pastorale. On ne mentionne les Davidées que lorsqu’elles sont attaquées par la presse laïque (83). Lumen, revue d’enseignement doctrinal pour la formation catholique des femmes, les mentionne pour signaler leur petit nombre par rapport aux instituteurs révolutionnaires (84), et souligne que malgré leur présence, le système est mauvais. Leur existence ne doit pas laisser
s’endormir « sur le mol oreiller d’un optimiste béat » (La Croix, 13 mai 1938). Les Davidées (au sens large qu’a pris le terme : catholiques pratiquants de l’enseignement public) remettent en cause le discours sur le caractère fondamentalement antireligieux de l’école publique : il n’est pas souhaitable qu’elles soient trop connues.
A l’inverse, le monde laïque a en besoin pour montrer la permanence du péril clérical. D’où un discours beaucoup plus prolixe, qui trouve même des échos à la Chambre des députés. Il faut attendre 1924 pour voir mentionner les Davidées dans les syndicats d’instituteurs et dans leur presse : le syndicat des instituteurs de la Manche évoque les « Davidées avouées ou honteuses », le congrès des syndicats d’instituteurs les évoque en 1925 (85). Les mentions deviennent beaucoup plus fréquentes à partir de 1925, dans la Libre Pensée (86) . On les accuse de violer la laïcité, de faire du prosélytisme, ce discours étant souvent accompagné d’un discours anti religieux très « primaire ». Certains articles sont plus intéressants, relativement bien informés, comme celui qui paraît en octobre 1925 dans la revue Les Primaires, où l’auteur affirme la liberté de croyance de tous les enseignants (87). Bien documenté aussi l’article (11 décembre 1927) dans la Revue de l’enseignement primaire, qui utilise le bulletin des Davidées. Ces divers articles ont un écho à la Chambre : le 18 novembre 1924, le député Baroux évoque (pour le critiquer), le maintien des devoirs envers Dieu dans l’enseignement, ce qui permet à toutes les Davidées d’imprégner leur enseignement de ce sentiment religieux. Le 20 novembre 1926, un député cite Le Progrès laïque, qui évoque les Davidées « confites en dévotion mystique, amantes de Jésus-Christ ». « Que faire : envoyer les pires récalcitrantes à l’école d’en face et trouver un mari pour les autres ».
Mais c’est en juin 1930 que les Davidées deviennent une affaire nationale : Marceau Pivert, instituteur socialiste, et membre de la SFIO, leur consacre un gros rapport au congrès national de la Ligue de l’enseignement (88). Des données sur l’histoire du mouvement, faciles à trouver dans le bulletin des Davidées, des statistiques dont le nombre dissimule mal l’imprécision ; et un élargissement à toutes les formes de présence des catholiques dans l’enseignement public, dans les lycées, parmi les professeurs, mais aussi parmi les élèves (JEC). Si « le noyautage de l’Enseignement
public » est dénoncé, c’est dans la perspective d’une dénonciation du rôle de l’Eglise dans la lutte des classes. Pour lutter contre cette dangereuse invasion, Pivert propose de sanctionner ceux qui feraient du prosélytisme, et de faire des enquêtes pour ne pas recruter des cléricaux ou des neutres dans l’enseignement public. Ces propositions, accueillies avec réserve parmi les officiels présents, sont reprises de nombreuses fois dans la presse laïque des années suivantes (89). Mais elles suscitent le débat à la Chambre en 1931 : le ministre refuse d’envisager de telles mesures. Le Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme (Biarritz, 1930), rappelle le principe de neutralité dans l’enseignement, mais ne veut pas pourchasser les catholiques. La Révolution prolétarienne, de Pierre Monatte constate : « C’est en embêtant les Davidées qu’on les renforce, qu’on leur donne figure d’âmes libres luttant contre le sectarisme » (90). Il semble bien qu’aucune mesure ne soit prise contre les Davidées, même si elles furent comme le mentionnait déjà la revue Les Etudes en 1920, victimes des « vexations des inspecteurs » (91).
Cette polémique née en 1930 est cependant l’occasion d’une réflexion plus approfondie. Le débat ouvert dans Le Progrès civique (92) est particulièrement intéressant. Le 3 octobre 1931, un des principaux rédacteurs de cet hebdomadaire de gauche, Régis Messac, publie un article au titre provocateur « Plaidoyer pour les Davidées ». S’inquiétant du succès des Davidées, il pense que les sanctions envisagées leur feront « une réclame gratuite », leur donneront la palme du martyre et favoriseront leur propagande. Analysant longuement le succès du « davidisme » auprès de jeunes filles isolées, succès répondant « à des besoins profonds, impérieux, et totalement négligés par notre
société laïque et utilitaire », il pense qu’ « on ne pourra venir à bout des Davidées qu’en créant des groupes de Davidées laïques, des antidavidées ». Un mois plus tard (7 novembre 1931), un lecteur réagit : « Pour qu’une société puisse donner et entretenir la foi laïque chez les institutrices, il faudrait qu’elle soit animée elle-même de la même foi. Mais de quelle source permanente pourrait-elle la tirer ? Ce n’est assurément pas de l’école publique. Il ne faut pas se payer de mots. L’école publique n’est pas confessionnelle, c’est entendu, mais elle n’est pas laïque au sens complet du mot. Qu’est-ce qu’un laïque ? C’est, d’après moi, celui qui croit que l’homme est lui-même l’auteur de la morale, ou si l’on veut, qui la considère comme un fait social et travaille personnellement à sa perfection en vue de son propre bonheur en cette vie et du bonheur commun de l’humanité. Revenons à l’école publique. En raison de la neutralité qui lui est imposée, elle ne peut enseigner que des notions de morale courante, non la véritable morale laïque. Or celle-ci ne prend tout son sens, ne produit tout son effet que si on l’oppose à la morale catholique. Les préceptes que donne l’école publique ne sont certes pas inutiles, loin de là. Mais comme il n’est pas permis de les asseoir sur une véritable base laïque, ce qui porterait atteinte à la religion, ils sont incapables de communiquer la foi laïque ». Pour l’auteur,
« c’est hors de l’école qu’il faut former des laïques », dans des patronages à créer. Ainsi, vingt ans après la publication de Davidée Birot, on revient dans le monde laïque à la réflexion sur l’enseignement de la morale à l’école.
Tout comme ce débat révèle une réflexion non polémique dans le monde laïque, les Davidées et leurs amis répliquent en évitant la polémique (93), par des articles dans leur bulletin (94), et par un article de La vie spirituelle du 1er avril 1931, qui veut faire avancer la réflexion du monde catholique. Sous le pseudonyme de François Chauvières, Emmanuel Mounier réfléchit sur « Une amitié spirituelle : les Davidées » (95). Après avoir rappelé pour des lecteurs catholiques peu informés les origines du mouvement, il écrit : « Encourager les catholiques de l’enseignement public fut à son heure un scandale pour les catholiques eux-mêmes. Le temps n’est plus, nous dit-on, de ces vues étroites. Il n’en reste pas moins au coeur de chaque institutrice catholique un cas de conscience extrême ». C’est celui de la double fidélité. A Pivert, elles répondent que le rôle de l’Etat dans l’enseignement impose la neutralité de l’enseignement mais pas la diffusion d’une idéologie, et ne peut concerner les convictions personnelles des
enseignants. Elles sont donc pleinement loyales envers l’école publique. « L’école neutre, c’est l’école où le libre penseur peut envoyer ses enfants, sans avoir à craindre qu’ils subissent une contrainte religieuse d’aucune sorte ; mais c’est aussi l’école où le catholique peut envoyer ses enfants sans avoir à craindre pour leur foi ». Par rapport à l’Eglise qui demande à tout chrétien d’être apôtre, elles répondent : « On agit plus par ce que l’on est que par ce que l’on fait, et rien ni personne ne peut empêcher le rayonnement d’une âme…n’empêche pas le silence de parler, la présence de créer, l’exemple de séduire… De ces institutrices qui veulent être modèles sous le regard de Dieu et conduire en elles l’humanité vers ses plus hauts sommets, ni l’Etat ni la République n’auront jamais rien à craindre » (96). « En France, l’école neutre est un fait qui ne semble pas près de disparaître. L’Eglise peut-elle se désintéresser de ces milliers d’enfants qui lui appartiennent par la volonté de leurs parents et qui fréquentent l’école publique. Elle sait que cette école n’a jamais été irréligieuse dans la volonté officiellement déclarée de ses fondateurs ;qu’au surplus ce sont les bons maîtres qui font les bonnes écoles. Et c’est pourquoi elle ne peut qu’encourager les maîtres catholiques de l’école publique » (97).
Mais Mounier élargit la réflexion au-delà de la vieille question scolaire, en reprenant pour finir une idée largement développée par les Davidées : elles ont retrouvé la foi, une foi sûre et armée, par les vertus laïques d’esprit critique,
« l’amour de la vérité préférée à toutes les consolations ». « N’a-t-on pas là comme en raccourci l’image rapide et prophétique, l’histoire future de notre monde moderne lui-même ? Dieu fait servir à ses fins les instruments que les
hommes machinaient contre lui. De la laïcité sortira peut-être une élite de chrétiens plus éclairés, plus conscients de la vérité parce qu’ils l’auront trouvée non dans la coutume, ni dans l’élan du coeur, ni dans les bénéfices qu’elle donne à la société, mais dans l’étude de ses titres » (98).
Une telle conclusion aurait-elle étonné René Bazin ? Peut-être pas puisque la Davidée Birot créée par le romancier ne se laisse emprisonner ni dans le conformisme pseudo laïque de son éducation, ni dans le retour sentimental vers la religion de son enfance. Elle cherche, mais elle n’a pas encore trouvé lorsque le roman se termine. Bazin, homme de conviction, laisse un doute à la fin du roman, une ouverture où les jeunes filles qui se reconnaissent en Davidée s’engouffrent, lectrices isolées puis compagnes de chemin dans un monde qui change et où les certitudes des incrédules comme des catholiques sont ébranlées. Davidée est née au XIXème siècle, mais ses lectrices vivent au XXème siècle. Aux Journées universitaires de Clermont, en 1933, elles écoutent un rapport de Maurice de Gandillac : « comment être chrétien et moderne » (99). Davidée aurait aimé !
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1 – La Revue hebdomadaire est publiée par Plon, son directeur est alors Fernand Laudet. Le « nouveau roman » de R. Bazin est annoncé à partir de mars 1911. Ce supplément n’est pas conservé à la BNF.
2 – P. 95 de l’édition ebook : http://www.ebooksgratuits.com
3 – Avec un « gros paroissien », ce qui lui sera reproché plus tard par l’inspecteur, allusion probable à une des « fiches » sur les officiers dévoilée pendant l’affaire des fiches qui provoqua la démission du général André en 1904 et du gouvernement Combes en janvier 1905.
4 – P. 194.
5 – P. 241.
6 – Archives départementales de Maine-et-Loire (par la suite ADML), 306 J 2. Ce dossier contient le manuscrit de la main de René Bazin, la version dactylographiée de ce manuscrit, modifiée en rouge par René Bazin, la version « imprimeur », sur laquelle les modifications sont rares.
7 – Davidée et sa mère, Davidée et Anne Le Floch, et surtout Davidée et Phrosine.
8 – Page 15 : « Nous en avons trop de Bretonnes », remplacé par « Il nous en vient trop de Bretonnes, de Poullaouen, du Huelgoat et de Redon ».
9 – Page 17, Phrosine perd sa coiffe angevine dans la 2e version.
10 – Page 50, les élèves ont « les yeux baissés ou détournés, héritières de l’esprit de révolte, elles longeaient la « muraille» (ajout en italique)
11 – Page 235 : « Le curé, se tournant vers l’église, dit tout bas se parlant à lui-même : Mon Dieu est prisonnier pour l’amour de tout cela. La paix n’est que dans le surnaturel, toute la solution est là, et toute la joie des pauvres ! ». Mais curieusement, plus loin, Davidée se rappelant sa conversation avec le curé, cite ce passage disparu de la conversation. Dans son carnet (1897-1914), Bazin avait noté, [début 1911] p. 163, « A. Isaac m’a dit :« Le plus grand remède à la misère matérielle, c’est le développement du surnaturel » (ADML, 11 J 73 bis. Le fonds 11 J est par la suite largement utilisé, nous ne préciserons plus qu’il est aux ADML).
12 – Page 20
13 – Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Bazin, 11 J 13, 3530. Le manuscrit ayant été achevé le 13 août, c’est donc sur la version dactylographiée réalisée après cette date que s’opère le changement. A la suite, il écrit:« Mon prochain roman, Gingolph l’abandonné ». Le fonds 11 J est la base de notre travail, nous ne préciserons plus qu’il est aux AD de Maine-et-Loire.
14 – Affichette conservée dans le fonds Bazin, 11 J 75. Dans la Revue Hebdomadaire de juin 1912, Laudet écrit : « Davidée Birot, ce roman attendu si impatiemment que je recevais presque des lettres de menace des abonnés, qu’apaisa heureusement la joie de la lecture et qui oublièrent un retard dont j’étais du reste très innocent ». Le 5 avril 1912, René Bazin écrit à sa fille Marie : « Tu penseras à prier pour mes livres futurs, Pour Davidée Birot, qui ne va pas tout à fait aussi vite que les précédents, à cause de la grande diffusion de la Revue où il a été publié » (11 J 77, lettres de famille, 1892-1946). C’était la première fois que Bazin publiait un roman dans cette revue. Il revient par la suite à son support habituel, la Revue des Deux-Mondes (Albert Moreau, René Bazin et son oeuvre romanesque, Auxerre, Staub, 1934, Annexes, liste des romans.
15 – L’Ami du clergé, très lu dans les presbytères, observe, après avoir relevé ce changement de titre (je n’ai pas retrouvé la date exacte) : « Cette désignation a disparu de l’oeuvre imprimée. M. Bazin a jugé sans doute que ce mot de « laïque » surtout appliqué à une femme, est mal porté, éveille toutes sortes d’idées de déchéance… »
(11 J 40, 10575).
16 – Jean Guitton, Les Davidées, Histoire d’un mouvement d’apostolat laïc 1916-1966, Casterman, 1967, 139 p,
17 – Abel Moreau, op.cit., p. 184 : « Quand il travaillera à Davidée Birot, on le verra souvent aller interroger sous son tue-vent un fendeur de Trélazé qui le documentera pour le personnage de Maïeul Jacquet ».
18 – Lettre de Robert de La Sizeranne à Bazin, 31 mars, 11 J 38, 9488.
19 – Il y reprend des expressions utilisées dans la description de la grève des bûcherons dans « Le Blé qui lève ».
20 – Sur la grève de 1910, 71 M 8, et sur les grèves d’ardoisiers, Maurice Poperen, Un siècle de luttes au pays de l’ardoise, Angers, 1973, p. 86-104.
21 – Antoine Prost, L’enseignement en France, 1800-1967, Colin, 1968, p. 210.
22 – Cité par Mona Ozouf, L’Ecole, l’Eglise et la République, 1871-1914, Colin, 1963, p.243.
23 – Goyau avait publié un ouvrage sous le même titre en 1899, où il évoquait l’influence du protestantisme libéral sur l’école de la République.
24 – Riche mise au point de Patrick Cabanel, Le Dieu de la République ; aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), PUF, 2003.
25 – P. Cabanel, idem, p. 130.
26 – Alfred Fouillée, La démocratie politique et sociale en France, Alcan 1910. Voir aussi, contemporain du roman, le chapitre « L’enseignement moral à l’école », dans Paul Sabatier, L’orientation religieuse de la France actuelle, Colin, 1911, p.266-287.
27 – A noter que l’ « extrait du cours » de Mlle Hacquin sur la morale est dans le manuscrit écrit sur une feuille collée, comme si l’auteur l’avait rédigé séparément du reste/
28 – Philippe Lejeune, Répertoire des autobiographies écrites en France au XIXe siècle, Vies d’instituteurs, p. 103104, annexe 2, Histoire de l’Education, 1985, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hedu_0221-) 6280_1985_num_25_1_1286
29 – Georges-Pierre Fonsegrive, 1852-1917. Notices dans Dictionnaire de biographie française, T. XIV, p. 271 et Dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine (F. Laplanche, dir.), Beauchesne, p. 243.
30 – P. 391-392.
31 – Voir sa conférence sur René Bazin, en 1932 (11 J 49).
32 – Est-ce une forme d’hommage à Bazin que de réutiliser le motif de la vente aux enchères de La Terre qui meurt dans son roman ?
33 – Pseudonyme de Julien Le Lidoux, assomptionniste, auteur en 1917 de Le renouveau catholique dans les Lettres, Editions de la Bonne Presse.
34 – Le ton est assez proche chez Henri Davignon, mais il regrette la perspective du mariage avec le carrier : « Par amitié pour Davidée, nous acceptons l’éventualité de ce mariage, bien qu’il heurte peut-être nos secrètes espérances : nous eussions souhaité mieux ; quoi, nous ne la savons point ». (« L’amitié des âmes », Revue générale, Bruxelles. sept. 1912,11 J 6, 1400).
35 – Frédéric Gugelot, La conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935), CNRS éditions, 1998, 533 p. passim, et p. 499 : « Les années 1910-1915 marquent le zénith du mouvement. Les récits de conversion se multiplient ».
36 – Dirigée par Léonce de Grandmaison, qui écrit à Bazin le 13 juin : « C’est le meilleur ouvrage du genre que vous ayez donné depuis La fin de Donatienne » (11 J 38, 9843) Il fait lui-même le compte-rendu.
37 – 11 J 73 bis, Carnet 1897-1914, p. 170.
38 – Ce critique (1870-1954), qu’il ne faut pas confondre avec son frère Fortunat Strowsky, professeur à la Sorbonne, a déjà fait d’élogieuses critiques d’oeuvres de Bazin que l’on retrouve dans le carnet 1897-1914, de Mémoires d’une vieille fille, et de Mademoiselle Gimel : « Cet homme du monde, à la tenue aussi soignée que ses écrits, à la physionomie aristocratique, aux opinions politiques plutôt conservatrices, cet homme-là – je l’ai souvent dit ici – a le coeur le plus démocrate et le plus républicain des romanciers de notre époque », Bazin colle dans son cahier « ces lignes curieuses » (11 J 73 bis).
39 – 11 J 40, lettre D, sous dossier « Davidée Birot ».
40 – Joseph Lotte (1875-1914), républicain, anticlérical, se convertit sous l’influence de Charles Péguy. Professeur au lycée de Coutances, il lance le 7 décembre 1910 sa lettre aux professeurs catholique de l’Université. « Nous nous groupons, déclare-t-il, pour attester au dehors de nos convictions et prouver par notre modeste témoignage que France catholique et France illettrée – quoi qu’en disent messieurs Jules Payot et Paul Sabatie – ne sont pas encore synonymes. Notre premier soin doit être la création d’un bulletin qui, nous permettant d’affirmer nos idées, sera l’organe vivant de son union ». Le Bulletin des Professeurs catholiques de l’Université paraît à partir de janvier 1911.
41 – 11 J 38, 9463 (20 mars 2012), 9636 (31 mars 2012), 9629 (7 avril 2012), 29 mars (9488).
42 – Idem, 9499 (23 mars), et 11 J 37, 8680 pour Claudel, 25 mars 1913 : « la poésie volontairement placée par vous à un diapason qui échappe à la plupart des oreilles, mais pas à la mienne. Une image qui éclate un moment comme une goutte de rosée, une métaphore suspendue et qui reste inachevée, et le récit reprend son cours paisible . Mais la fréquentation de Mallarmé (que vous n’aimez pas, hélas) a eu du moins pour moi l’avantage de me faire aimer particulièrement les choses tacites et inattendues ».
43 – 11 J 73 bis, Carnet 1897-1914, p. 147. Il reprend ce texte dans sa conférence sur « La Renaissance religieuse de la France » (1913 ?), p. 13 (11 J 12, 3317).
44 – 11 J 13, Carnets, 28 mars 1912. Ernest Lavisse est natif de Nouvion-en-Thiérache, historien, académicien, directeur de l’Ecole Normale supérieure, mais aussi auteur de Petites histoires pour apprendre la vie, (1887) sous le nom de Pierre Laloi.
45 – 11 J 40, «D, Davidée Birot », 20 avril 1912, 10571
46 – 11 J 12, 3317, conférence sur la renaissance religieuse de la France (1913 ?)
47 – 11J 23, et 11J 73bis.
48 – Editions chez Calmann-Lévy en 1912, 1929, édition illustrée chez le même éditeur en 1922, et dans la collection Nelson en 1929. A noter une réédition en 2012, éditions Sainte-Philomène. De toute son âme, Magnificat, ont le même nombre d’éditions avant 1939.
49 – La Croix, 2 juin 1929, à l’occasion d’un livre de Morienval.
50 – 11 août 1932, p. 4.
51 – G. Cesbron, « Introduction », colloque Lire aujourd’hui Bazin, 2000, Impacts, 2000, T. 34, p..11-16.
52 – Jacques et Mona Ozouf, La République des Instituteurs, Gallimard-Le Seuil, 1992. L’enquête a été menée en 1961.
53 – Quand les données le permettent, nos indications concernent les institutrices. Nous employons
« instituteurs » quand il s’agit de l’ensemble hommes/femmes.
54 – Idem, p. 184.
55 – Idem, p. 215, p. 217.
56 – Collection à la BNF du Bulletin… des institutrices…, de 1917 à 1920 (disponible sur Gallica) : les informations sur les origines sont données dans les numéros de mars 1918 (p. 129) et juillet 1918. Avait été signalé par A. Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine sous la IIIe République, Flammarion, 1951, p. 485. Ce bulletin n’évoque qu’en 1918 (N° de janvier, p. 320) :« Davidée Birot, l’héroïne de Bazin, que beaucoup d’institutrices françaises ont saluée comme leur soeur véridique, même quand elles ne l’auraient pas suivie dans toutes ses décisions… ».
57 – Le bulletin de mars 1921 se trouve dans un dossier de René Bazin 11 J 33, 574.
58 – A. Moreau, op. cit., p. 178. Il poursuit : « Mais Bazin a dû créer le personnage de Jacquet et l’oeuvre manque d’unité, à moitié calquée sur le réel et à moitié imaginée ».
59 – 11 J 40, « D », « Davidée Birot », 10576.
60 – Selon une tradition familiale rapportée par M. François Catta, petit-fils de René Bazin, René Bazin aurait écrit ce roman après une rencontre avec une personne réelle. (11 mars 2013).
61 – Ce programme correspond bien au contenu du Bulletin… cité ci-dessus, publié à partir de 1917, un argument pour penser que le groupe de la cousine de l’abbé Combes appartient au réseau qui crée en 1910 cette première Correspondance…
62 11 J 40, 10582, lettre de l’abbé Bossuet, 3 septembre 1912.
63 – Rapporté par Guitton, dans Jean Guitton, Les Davidées, histoire d’un mouvement d’apostolat laïc (1916-1966), Casterman, 1967, 139 p. Jean Guitton avait été en contact avec Bazin quelques années plus tôt, à l’occasion d’une conférence sur les Equipes sociales (de Garric) : voir sa lettre à Bazin du 24 août 1923, où il lui annonce son succès à l’agrégation (11 J 40, « G »).
64 – J. Guitton, op. cit, p. 45, chapitre II, Témoignage sur une origine [par Marie Silve]
65 – Pierre Fernessole, né en 1879, prêtre, professeur de lettres, finira sa carrière comme professeur à l’Institut catholique de Paris, auteur d’une thèse sur Pie IX, et de nombreuses biographies de religieux. Sa première lettre à Bazin semble être du 21 juillet 1912, à propos de son article « Cruelle laïcité » (11 J 73 bis, dossier « Incident 1912 »). En juillet 1915, il publie deux articles sur Bazin dans la Revue pratique d’apologétique. En juillet 1919, il évoque une biographie de Bazin qui lui a été commandée pour une collection dirigée par Françis Vincent, il revient sur ce sujet en septembre. Cette biographie ne sera pas réalisée.
66 – 11J 40,« F », 10614. Le reste de la lettre décrit ce groupe, qu’il nomme déjà les Davidées : « Votre Davidée Birot a trouvé en France plus et mieux encore que des admiratrices ferventes ; elle a trouvé des imitatrices, des soeurs ; et chaque jour elle façonne leur âme sur le modèle de son âme, droite et fière, pure, lumineuse, et charitable. Un groupe de « Davidées » est fondé, assez nombreux déjà et comptant des membres de divers points de France, mais surtout d’une admirable ardeur ». Le 29 décembre 1916 (10627), P. Fernessole avait écrit à Bazin, sans évoquer les Davidées. On peut donc supposer qu’il a été contacté en janvier 1917 par Marie Silve.
67 – Jean Guitton, op. cit, p. 58, texte de Marie Silve. Dans le bulletin Aux Davidées, à partir d’octobre 1930, une note explicative rappelle dans chaque numéro le pourquoi de ce nom : « Un groupe de jeunes institutrices s’est trouvé, en 1916, lire le roman de René Bazin intitulé Davidée Birot. Elles aimèrent dans l’héroïne son attachement au devoir quotidien, sa charité humble et courageuse et sa droiture dans la recherche de la vérité. Aussi ont-elles appelé « Aux Davidées » la lettre circulaire qui les unissait et qui s’est développée au-delà de toute prévision ».
68 – Marie Silve écrit qu’il reçut « les deux premiers numéros ». Si l’on suit la lettre de Fernessole, ces deux numéros ne sont pas encore le bulletin Aux Davidées.
69 – J. Guitton, op. cit., p.59.
70 – 11J 41,« S», 11457.
71 – Le 9 août 1921, P. Fernessole écrit à R. Bazin, après une rencontre manquée, qu’il voulait « l’entretenir de l’oeuvre des Davidées ».
72 – Francis Vincent, René Bazin, l’homme et l’écrivain, 1940, p. 183-184.
73 – Cité sur la page Marie Silve, site internet du diocèse de Digne.
http://www.catho04.fr/vivre/coeur/mvmt/paroisse-univ/marie-silve.htm
74 – Extraits des Carnets inédits de Mounier, aimablement communiqués par Bernard Comte.
75 – On retrouve à peu près les mêmes thèmes dans une « notice » publiée en décembre 1927 par la Revue de l’enseignement primaire (dans un but critique) : « Nous avons admiré la grande noblesse d’âme de Davidée : sa bonté, son dévouement absolu pour sa classe, le sentiment de sa haute responsabilité morale vis-à-vis de ses élèves, sa conscience délicate et fière… Nous avons été profondément touchées et nous avons eu le désir de nous rapprocher d’elle, en mettant dans nos vies plus de charité, d’humilité, de courage. Oui, désirer, comme Davidée, être une « femme inconnue mais capable de bien », n’est-ce pas se rapprocher de Dieu ? ».76 – Paul Fournier, « La biographie de Charles de Foucauld par René Bazin dans les journaux et revues au début des années 20 », in Charles de Foucauld, Amitiés croisées, J. Fournier, dir., 2007, p. 265.
77 – Aux Davidées jusqu’en 1945, puis de 1945 à 1970 Ecole et pensée moderne (voir analyse sur le site INRP, rubrique presse-éducation).
78 – Après ma classe, revue de culture générale (1929), et Notre Ecole (1938).
79 – « Cinquante ans de Journées universitaires », et « Les premières Journées », Cahiers universitaires
catholiques, mars-avril 1972, p. 2-30.
80 – Le Bulletin Aux Davidées aurait 2000 abonnés en 1925 (Revue apologétique, 1925, mai, p. 182, le Bulletin national 3000 en 1927 (Lumen, 1927, 2). En 1931, on évoque 8000 « affiliés » dans la presse laïque.
81 – Foi et Education janv-mars 1931, p. 5
82 – Idem, p. 100
83 – Ecole et famille, juillet-août 1925, janvier 1927. Etudes, janvier 1920, La Croix, 26 août 1924, 6 août 1933, 24 décembre 1935
84 – Février 1927, octobre 1932.
85 – D’après des articles de la revue catholique Ecole et famille, juillet 1924, août 1925, et article de La Croix du 26 août 1924.
86 – (disponible sur Gallica) 1925, 1927, 11929, 1930 (2 fois), 1932 (2 fois), 11933, 1934.
87 P. 62, Armand Ziwès : « Nous sommes tous ici trop respectueux de la liberté d’opinion pour critiquer dans leurs croyances les membres de ces associations dites « Davidées ». Nous nous plairions même à reconnaître que par elles l’Eglise rend hommage (involontairement, certes, mais il faut le constater) à la tolérance de l’Etat, puisqu’au sein même de l’école laïque elle a pu organiser ces groupements. Et, trop soucieux de défendre la liberté des fonctionnaires dont nous estimons qu’ils ne dépendent de leurs chefs que par la valeur professionnelle, nous nous gardons d’attirer l’attention du gouvernement sur des manifestations religieuses, quelles qu’elles soient. Mais si nous reconnaissons aux membres de l’Enseignement le droit de faire du prosélytisme en dehors des heures de classe, nous nous élevons contre toute propagande faite pour telle ou telle doctrine à la faveur de l’autorité d’une maîtresse sur sa classe ».
88 – Des extraits de ce rapport sont disponibles en ligne : http://bataillesocialiste.wordpress.com/documentshistoriques/1930-06-les-davidees-pivert/
89 – Bulletin de l’enseignement professionnel, 1932, novembre. Action laïque de Périgueux, octobre décembre 1937, avril-juillet 1939
90 – Pour Monatte (1881-1950), syndicaliste révolutionnaire, adhérent au PC en 1923, exclu en 1924, animateur d’un courant d’extrême-gauche, l’anticléricalisme est inutile, il faut « ne jamais évoquer la question religieuse et pourtant la résoudre en changeant l’économie ».
91 – Janvier 1920, p. 49. Cet article renvoie « à l’article vengeur de Marguerite Ory » dans L’instituteur français du 15 juillet 1919.
92 – Le Progrès civique, journal de critique politique et de perfectionnement social, hebdomadaire (1919-1936), donne la parole à toutes les gauches. Régis Messac, un des rédacteurs écrit : « La première condition de ce perfectionnement social, c’est la critique de la société existante, de toutes les sociétés existantes, une critique sans merci » (Wikipedia). Je remercie M. Paul Fournier de nous avoir communiqué les deux articles que nous citons.
93 – Dans sa conversation avec Emmanuel Mounier de juillet 1930, Marie Silve déclare : « Il faut voir les gens. Je
suis sûre que si je rencontrais Marceau Pivert nous nous entendrions très bien. Il faudra que je le voie » (Carnets inédits d’Emmanuel Mounier, texte communiqué par Bernard Comte).
94 – Juillet 1930, p. 599, « Eclaircissements », et octobre 1930, « Nouveaux éclaircissements » (l’article anonyme est attribué à Jean Guitton par Marie Silve). Jean Guitton, op. cit. p. 71.
95 – P. 31-91. Emmanuel Mounier (1905-1950), professeur de philosophie, fondateur en octobre 1932 de la revue Esprit. Invité par Jean Guitton, il a écrit de 1928 à 1933 des articles dans le bulletin Aux Davidées, que son biographe Jean-Marie Domenach qualifie de « un peu mièvres » (Jean-Marie Domenach, Emmanuel Mounier, Seuil, 1972, p. 36, p. 184). L’article de La Vie spirituelle est republié (incomplètement) sous le nom de Mounier dans l’ouvrage de Jean Guitton, p. 84.
96 – La Vie spirituelle, p. 74,
97 – Aux Davidées, octobre 1930, « Nouveaux éclaircissements ».
98 – La Vie spirituelle, p. 91
99 – Etudes, mai 1933.